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Pas de réductions de débit sans modification de la loi

05.01.2016


ENVIRONNEMENT – Le député Martial Saddier a interrogé la Ministre du développement durable sur le point de savoir si "le dispositif de réduction de débit est une mesure légale de nature à être mise en œuvre face à des impayés en matière d'alimentation en eau." (1)

Une réponse (négative) à cette question a déjà été donnée dans le Décret N°2008-780 ainsi que dans la réponse ministérielle à une question du Sénateur Raoult en 2011 (2). Toutefois, au vu des nombreuses réductions de débit effectuées encore actuellement par Veolia et Saur, une réponse à la question posée présenterait un grand intérêt.

Faudrait-il légaliser en France une pratique en vigueur de longue date mais dont la mise en œuvre peut être à la source de sérieuses difficultés pratiques, voire d'iniquités? Dans l'affirmative, quelles seraient les sécurités à apporter à l'usager?

Une atteinte à un droit fondamental

S'il est envisagé qu'un distributeur puisse réduire le débit d'alimentation en eau , il y aura deux catégories d'usagers: les usagers avec pression d'alimentation normale en eau pour ceux qui ont payé leur eau et les usagers avec pression d'alimentation réduite pour ceux qui ont du retard dans le paiement. Parmi ces derniers, certains usagers auront un peu d'eau au robinet et d'autres pas du tout car ils sont dans des étages non desservis par manque de pression. Le principe d'égalité d'accès aux services publics pourrait donc être écarté sans qu'une loi intervienne au préalable pour autoriser la mesure de réduction envisagée. Selon les auteurs, une loi est nécessaire dans le contexte français avant de pouvoir affirmer que les réductions de débits sont des mesures légales.

Une réduction de débit d'eau n'est pas une mesure anodine. Elle consiste à réduire le débit d'eau à un filet dès qu'il y a 50 ou 90 jours de retard dans le paiement d'une facture d'eau quel que soit son montant. Le distributeur envoie alors un agent pour modifier l'installation (pose d'une lentille sur la canalisation d'eau ) sans avoir à demander la moindre autorisation, ce qui a pour effet de porter atteinte aux usages normaux d'un logement. L'usager pourra ainsi perdre l'usage de ses toilettes. Il n'aura peut-être plus la possibilité de prendre une douche et il n'est pas sûr qu'il dispose encore d'eau chaude produite dans son logement voire de chauffage dans un certain nombre de cas. L'usager disposera toujours d'un logement mais pas des équipements qui sont obligatoires pour qu'un logement soit considéré comme décent selon la loi française (3). Dans de nombreux cas, la réduction de débit est une mesure prévue dans le règlement du service de l'eau adopté par la collectivité, règlement qui ne peut toutefois pas être contraire aux lois.

De fait, la mesure de réduction de débit inscrite dans un règlement de service est illégale car elle porte atteinte à un ou plusieurs droits fondamentaux reconnus par le France: le droit au logement (4), le droit à la dignité (5) et le droit à un niveau de vie suffisant. Comme le droit au logement est un droit fondamental ou un objectif à valeur constitutionnelle, il est nécessaire qu'une loi intervienne avant de pouvoir réduire le débit d'eau de l'usager en retard de paiement.

Une disposition législative en faveur de la réduction de débit ?

L'adoption d'une nouvelle loi pourrait autoriser les réductions du débit d'eau comme c'est déjà le cas pour les réductions de puissance électrique. Elle impliquerait que le législateur ait changé d'avis et autorise les réductions de débit dans certains cas à préciser. En effet, en juillet 2015, le Sénat et l'Assemblée nationale ont déjà rejeté un amendement à la loi Royal en faveur des réductions de débit. Faut-il leur soumettre à nouveau la question des réductions de pression ? Si c'était le cas, ne faut-il pas s'assurer que les usagers seront effectivement protégés des décisions intempestives ou des actions hors la loi?

Comme une réduction de débit peut avoir des conséquences très graves pour la santé des personnes qui ne reçoivent plus qu'un très faible débit d'eau, il serait indispensable d'encadrer la loi légalisant les réductions par un décret qui préciserait les conditions de sa mise en œuvre. Une réduction de débit ne peut pas être équivalente à une quasi coupure d'eau destinée à contourner la loi Brottes qui interdit les coupures d'eau. Elle ne peut pas non plus priver d'eau un usager démuni ou qui a des difficultés passagères à payer son eau.

Pour éviter les dérapages, les erreurs et les maladresses, toute mesure de réduction de débit devrait être soumise au contrôle préalable d'un organe indépendant (commission sociale, médiation, conciliation, juge, etc), auprès duquel le distributeur pourrait faire valoir ses raisons de croire que l'usager en retard de paiement est en capacité de payer sa consommation d'eau. De plus, il faudrait prévoir la possibilité pour l'usager de faire appel de la mesure de réduction de débit auprès d'un tribunal avec effet suspensif immédiat. De telles modalités existent dans certains pays, par exemple en Région flamande en Belgique et en Israël.

La réduction de débit, si elle était souhaitée par le législateur, ne pourrait pas être pratiquée sans contrôle. En attendant, il serait bon de faire respecter la loi et faire cesser les pratiques actuelles de réduction de débit, ce qui n'est malheureusement pas le cas en France dans certaines municipalités.

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(1) Assemblée nationale, Question n° 87408, 25/8/2015.

(2) Dans une Réponse au Sénateur Raoult publiée au JO Sénat du 03/03/2011, le Ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement explique: "L'article 1er du décret interdit de réduire le débit de fourniture d'eau aux abonnés en situation d'impayés, alors qu'une telle mesure est autorisée pour la fourniture d'électricité."

(3) Décret N°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent.

(4) Voir Loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs : Art. 1. "Le droit au logement est un droit fondamental".

(5) En rapport avec le droit à un logement décent, le Conseil constitutionnel a invoqué le principe de dignité aux côtés des dixième et onzième alinéas du préambule de 1946 pour en faire un objectif à valeur constitutionnelle (voir décisions 94-359 DC (diversité de l'habitat) et 98-403 DC (exclusion).