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Nord et Est de la Syrie : sous les bombes, la Métamorphose

13.09.2022

Elles et ils vivent sous la menace constante des drones et mortiers de l’armée turque, des attaques de cellules dormantes de Daech.

Elles et ils habitent sur des territoires détruits par la guerre, asséchés par les coupures d’eau de la Turquie en amont, par le changement climatique.

Elles et ils doivent « gérer » et s’occuper des centaines de jihadistes étrangers, de leurs épouses et de leurs enfants (parfois né.es sur le territoire), notamment de Français, que la France rapatrie au compte-gouttes.

Elles et ils pleurent des proches blessés ou morts  au combat contre Daech ou l’armée Turque, sans avoir la possibilité de faire leurs deuils sereinement et « guérir » les âmes.

Elles et ils doivent faire face à de nombreux blocages économiques, humanitaires, administratifs, par le régime syrien, par les états voisins et par les nations occidentales.

Elles et ils subissent aussi frontalement les conséquences de la guerre en Ukraine menée par la Russie, des impacts du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité.

Elles et ils subissent les trahisons et abandons de la communauté internationale après avoir s’être sacrifié.e.s dans la lutte contre l’organisation État islamique.

Malgré ces calamités, les habitantes et habitants du Nord et de l’Est de la Syrie, kurdes, arabes, ezidies, syriaques, arméniens, avancent, se lèvent, et luttent au quotidien pour faire advenir une société juste, en paix, libérée des dominations.

Elles et ils transforment leurs territoires, garantissent les services publics autant que possible, démantèlent avec persévérance le système patriarcal, tentent d’instaurer un système démocratique « par le bas » où les citoyennes et citoyens sont dépositaires des prises de décisions, à tous les niveaux, reconstruisent des universités, des écoles proposant un enseignement dans trois langues, développent un système de non-discriminations et d’inclusions des minorités. Quelques exemples parmi tant d’actions.

Ces femmes et hommes du Nord et de l’Est de la Syrie nous les avons rencontré.es, à plusieurs reprises sur place. Nous avons soutenu certains de leurs projets, comme le marché des femmes de Qamishlo, et maintenant, grâce à la ville de Lyon, le projet Tresses Vertes, de reforestation du territoire par la mobilisation citoyenne. Nous avons vu leurs quotidiens, les maisons des femmes qui permettent émancipation, médiation et réconciliation, les centres de santé où l’énergie, la volonté font des miracles malgré le manque de moyens et d’aide internationale, les coopératives balbutiantes, promesses d’une économie qui puisse bénéficier à tout le monde, les projets écologiques encore en germination, les reconstructions de Raqqa et Kobane, les incroyables co-maires, co-président.e.s (toujours une femme et un homme) des cantons et de l’auto-administration. Nous témoignons ici de la profonde vitalité de ces projets, de leurs « valeurs » si cruciales, si rares, à l’heure où nos mondes s’effritent de partout, véritables lucioles dans la nuit.

Pourtant chaque jour le danger est plus grand de voir leur projet de paix anéanti par l’armée turque, deuxième armée de l’OTAN, sans que la communauté internationale ni la France ne réagissent.

A elles et eux, nous voulons rendre hommage bien entendu, à elles et eux nous voulons apporter le soutien international que toutes et tous méritent, et, par notre témoignage, nous voulons que vous puissiez entendre leurs luttes, leurs réalisations, leurs peines et leurs espoirs. Parce qu’elles et ils font, essaient, vivent et, sans en avoir la prétention, tracent concrètement des chemins pour une métamorphose de notre société dans l’adversité la plus dure.

A elles et eux, les bâtisseuses et bâtisseurs d’utopies du Nord et de l’Est de la Syrie, nous avons souhaité remettre le Prix Danielle Mitterrand 2022. A travers ce geste symbolique, nous faisons le vœu qu’elles et ils soient enfin reconnu.e.s à leur juste titre, que leur courage, leurs souffrances, leurs immenses contributions pour un monde juste soient entendu.e.s et que la France et les puissances étatiques mettent fin à l’impunité de la Turquie. S’inspirant de l’action de la « Mère des Kurdes » puis de la France de 1991,  cette même France pourrait agir à nouveau comme elle l’avait fait avec l’Irak et la résolution 688 du Conseil de sécurité des Nations Unies apportant protection aux Kurdes cette année-là.

C’est avec ces mots et ce souhait, déterminant pour notre avenir à toutes et à tous, que je voulais m’adresser à vous une dernière fois, ma mission de Directeur Général de la Fondation Danielle Mitterrand se terminant (mais pas l’aventure avec elle bien entendu) à la fin du mois, ravi de passer le relais à ma successeure dont nous vous parlerons le mois prochain.

Merci encore à vous toutes et tous pour votre soutien indéfectible et votre constance à donner vie aux utopies.

Jérémie CHOMETTE
Directeur général de la Fondation