La coopération décentralisée : une relation nord sud. A quand la relation sud nord ? Emmanuel POILANE, Directeur de la Fondation
30.06.2010
Après avoir passé 17 ans en Afrique de l’ouest, Afrique centrale et Madagascar, assurant l’encadrement des volontaires au sein de l’Association Française des volontaires du Progrès, l’occasion m’a été donnée de côtoyer des acteurs de coopération décentralisée nord et sud dans cinq pays. Le Tchad, Le Bénin, La Guinée, le Niger et Madagascar.
En lien étroit avec eux, ces années de travail m’ont permis de considérer les atouts et les limites de la mise en œuvre de nos coopérations décentralisées. Pour autant, je ne suis pas un expert en la matière. Je vais simplement partager avec vous mon ressenti. Durant toutes ces années, mes activités m’ont amené à rencontrer fréquemment des acteurs sud de la coopération décentralisée, cette proximité était pour moi sans enjeux d’aucune sorte. Aider à la meilleure exécution possible était mon seul but. Je compte donc sur votre indulgence d’experts.
Comment la coopération décentralisée est elle passée d’une relation paternaliste à une véritable volonté de coopération au sens noble, pourquoi cela prend-t-il autant de temps ?
Premiers regards au début des années 90, la plupart des coopérations décentralisées sont issues de jumelages, mises en œuvre par des personnes de cultures différentes, celles-ci se rencontrent soit au nord, soit au sud et mettent en lien deux communautés. Cette relation attachante, est souvent limitée en terme de coopération réelle, le coté émotionnel tenant plus de place qu’une véritable approche du développement local.
En France, la modification des lois de décentralisation, la création des budgets à la coopération internationale de nos territoires décentralisés, permettent de regarder ces formes de collaborations sous un nouveau jour. De territoires à territoires, elles deviennent plus professionnelles. L’histoire récente de cette évolution est bien mise en lumière à Madagascar.
En effet, les assises de Coopération Décentralisée de l’année 2006 à Tananarive ont permis d’enclencher un nombre substantiel de partenariats de région à région dans une volonté de coopération technique.
L’approche est d’abord professionnelle et permet d’envisager l’organisation des activités sous un nouveau jour. La mise en œuvre de la coopération Aquitaine-Itasy est l'exemple d'un montage ou les secteurs d'interventions, les modes d'interventions et la réalisation des actions ont été l'œuvre d'une vraie coopération.
Avec ce nouveau modèle, on voit évoluer la coopération mais il faut alors mettre en œuvre ces échanges, dans un climat de confiance.
Comment repenser nos coopérations décentralisées avec la volonté d’aider les acteurs sud, sans vouloir imposer les vues du nord ?
La programmation d’initiatives de coopérations décentralisées est elle de notre fait ou celui d’un réel échange ?
Par exemple : si demain nous donnons un budget financier à une région malgache (sans en contrôler le devenir), va-t-elle mettre en œuvre les mêmes actions que celles choisies dans le cadre de notre coopération ? Les acteurs sud ont-ils la volonté de dire non à leurs partenaires ? Prendront-ils le risque de les éloigner, perdant la manne qu’ils apportent avec eux ?
Qu’on le veuille ou non, la clarté des messages que nous souhaitons faire passer est souvent faussée par la différence de réalité des moyens financiers entre les pays du nord et ceux du sud. Nous ne devons jamais l’oublier.
Comment réussir à engager une coopération confiante, notamment dans le cadre de la relation financière ?
Lorsque nous parlons de coopération décentralisée, il s’agit d’argent public. Le partenaire nord a l’obligation de garantir en même temps : la bonne utilisation des fonds, mais aussi de mettre en valeur, au nord, leur utilité pour les territoires du sud. Cela peut fausser la dynamique de coopération par peur de ne pas atteindre ces deux objectifs, voir la transformer complètement.
Pour un bon partenariat, la confiance est nécessaire, il est faut donc prendre le risque de ne pas pouvoir tout maîtriser.
Certaines coopérations sont exemplaires dans la volonté de créer de véritables échanges. Je vais citer deux exemples expérimentés au Niger et à Madagascar.
Déjà évoqué, la région Aquitaine qui coopère avec celle d’Itasy à Madagascar et le Val de Marne qui coopère avec le département de Zinder au Niger. Ces deux régions ont misé, dès le début de la construction de leur partenariat, sur la fiabilité de leurs partenaires, ainsi que sur leur capacité à choisir ensemble leurs axes de coopération.
le choix fait par ces deux coopérations de la mise en œuvre financière directe de collectivité à collectivité sans passer par un opérateur est un signe de confiance rarement mis en œuvre dans cet univers.
Les résultats sont toujours difficiles à lire car seul le temps permet d’en mesurer les effets, mais ils sont suffisamment bons pour nous faire dire que c’est chose possible, malgré les réalités politiques de ces deux pays qui freinent les ambitions sans cependant réussir à les stopper.
Comment des coopérations décentralisées bien menées pourraient-elles nous enrichir des valeurs culturelles et traditionnelles des pays sud ?
Pour faire avancer le modèle actuel, il faut probablement penser autrement notre relation à ces différentes cultures. La capacité des acteurs sud à nous apporter une vision du monde, imprégnée de valeurs traditionnelles, pourrait être l’occasion de relativiser nos désirs de progrès, de confort, de consommation.
Actuellement, un certains nombre de territoires nord, affichent la volonté de repenser nos indicateurs de richesse, (ceci mis notamment en lumière par la commission Stieglitz). N’est-il pas possible d’imaginer un partenariat nouveau, permettant ainsi de revoir et de faire vivre nos systèmes de valeurs dans un échange plus juste et plus équitable, autant sur les plans matériels qu’humains ?
Les sociétés approchées durant mes 15 années de vie au sud, m’ont appris l’absolue nécessité, de penser le développement dans le respect des traditions.
Les préalables à ce que nous considérons comme un vrai début d’activités, nous semblent parfois insolites ou incongrus, cependant ils peuvent être essentiels pour la bonne marche d’une société. Je pense par exemple au Fiavananah à Madagascar. Cette tradition de respect, de fraternité, d’harmonie, inscrite dans la vie du peuple malgache depuis des générations, freine parfois les évolutions, mais s’avère protectrice notamment en temps de crise.
Si nous pouvions réinvestir cette dimension d’harmonie dans nos sociétés, en tenant compte des préalables que sont les biens commun de l’humanité, nous serions probablement en mesure de repenser notre modèle de développement.
Envisager un enrichissement de celui-ci, en nous appuyant sur nos coopérations décentralisées, pourrait être novateur. Prendre appui sur des acteurs, coopérant pleinement à cette émergence, offrir à l’imagination collective nord-sud une autre vision du monde qui ne soit pas exclusivement celle des pays occidentaux, pourraient renouveler ces modes relationnels indispensables.
Quelle doit être ou quelle peut être la place des femmes et des hommes dans la mise en œuvre de coopérations décentralisées ?
Si nous voulons envisager cette coopération sud nord, il nous faut probablement renforcer le partenariat qualitatif des relations entre les femmes et les hommes du nord et du sud. Plus d’échanges, plus de volontariat dans les deux sens, afin que la prise en compte des réalités des territoires, soient connues par expérience du temps passé ensemble et non pas seulement par les échanges de rapports et de documents de toutes sortes.
Plus les échanges humains seront importants, plus ces coopérations pourront s’enrichir d’une connaissance approfondie de nos différentes cultures et de leurs possibilités.
Les volontaires ont un rôle important à jouer dans ces coopérations par rapport aux générations montantes. Leur jeunesse et leur manque d’expérience relatif sont un atout dans le respect des différences. Une certaine naïveté les rend inventifs, leurs liens avec les populations du sud gardent une forme de légèreté. Ainsi, les acteurs sud ont un plus grand libre arbitre et révèlent leur capacité à dire non. Cela participe à l’équilibre global.
Cette expérience est d’autant plus importante au retour de ces jeunes en France, car elle peut influer directement sur l’évolution de notre propre société. Ce n’est pas un hasard si nous retrouvons nombre de ces volontaires à des postes de chargés de mission de coopérations décentralisées dans nos départements et nos régions.
Il nous faut envisager cette richesse plus avant et imaginer comment la connaissance d’une autre culture, offerte par un long séjour dans un pays du sud, peut participer activement à la politique de nos pays du nord, en offrant un regard neuf sur un monde cosmopolite, pour une mondialisation citoyenne, humaniste et pas seulement économique.