Caimanes : la justice chilienne sera-t-elle une fois de plus désavouée face au pouvoir économique ?
03.11.2015
21 octobre 2014 : la Cour Suprême du Chili décrète l’obligation à Minera Los Pelambres (MLP) de restituer les eaux dont l’entreprise a privé le village de Caimanes avec la construction du plus grand réservoir de déchets miniers d’Amérique Latine. Mais alors que cette sentence reste toujours sans effet (1) , tout comme une sentence précédente concernant l’obligation que cette même entreprise avait de mettre en place un plan pour assurer la sécurité du village en cas d’effondrement du méga-réservoir (2) , les avocats ont décidé-en accord avec la communauté- d’initier un dialogue avec la compagnie afin de tenter de trouver un accord conciliant les parties.
Le processus de dialogue a pris la forme d’une série de réunions thématiques entre Minera Los Pelambres, la communauté et les avocats des deux parties. Ces réunions sont ouvertes à tous et sont tenues à Caimanes même, sous la vigilance de l’ONG Chili Transparent, désignée par Antofagasta Minerals (dont MLP est une filiale) pour suivre le déroulement du processus. L’objectif de ces réunions est que les parties se mettent d’accord sur la forme d’accomplissement des sentences, c’est à dire comment rendre l’eau et garantir la sécurité aux habitants de Caimanes.
Après 14 ans de lutte, entamer un dialoguer avec MLP est difficile à concevoir pour les habitants. MLP reconnait elle-même que son intervention sur le territoire a engendré des problèmes. A l’ampleur des impacts environnementaux irréversibles, à la disparition de l’eau et des activités agricoles, s’ajoutent les divisions entre voisins et familles directement causées par les pratiques discriminatoires et clientélistes de MLP (3) . Malgré leur incrédulité quant au discours de mea culpa et de changement de MLP, une majorité des habitants accepte de relever le défi du dialogue pour tenter de trouver une solution au conflit.
Comme par ironie du sort, un évènement dramatique frappe le village lors de la première réunion thématique : un tremblement de terre de 8.4 Richter (dont l’épicentre se situe à peine à une cinquantaine de km de Caimanes) secoue le village à l’issue de la première réunion portant sur… la sécurité du réservoir en cas de séismes. Si heureusement le séisme n’a pas eu pour effet de provoquer l’effondrement du mur, en revanche il a démontré l’absence totale de préparation du village pour affronter un évènement qui pourrait signifier la disparition de la partie basse du village grande partie du village (4). La compagnie propose dès le lendemain à un groupe d’habitants d’aller constater par eux-mêmes les impacts du séisme sur le réservoir… Fait qui pourrait paraitre normal s’il n’en était que jamais auparavant, les habitants n’avaient eu la possibilité d’aller visiter le réservoir. L’objectif de cette visite est expliqué par MLP par une volonté de construire des relations de collaboration avec les habitants et de mettre à profit la propre expertise des habitants vers une co-gestion des risques et du projet sous la devise « ensemble nous pouvons mieux travailler ». Ainsi, il est question de monitorat participatif par lequel les habitants pourraient eux-mêmes aller constater le bon fonctionnement du réservoir et pourraient participer à la gestion du patrimoine archéologique (5) .
Derrière ce changement de ton dans les relations entre les habitants et l’entreprise, il est nécessaire d’apporter des éléments pour mieux comprendre les intérêts réciproques et les enjeux : alors que Caimanes a récemment gagné l’ensemble des procès, un accord aujourd’hui avec MLP signifierait troquer des victoires juridiques contre un résultat en terme d’application des sentences peut-être plus rapide et plus efficace (6) mais qui, de ce fait, signifierait renoncer à ce que l’entreprise soit déclarée responsable. MLP ne serait plus responsable d’avoir privé d’eau, pollué une vallée entière et mis en danger la vie des habitants de Caimanes mais deviendrait en quelque sorte bienfaitrice : ses apports apparaissant comme volontaires et non plus de l’ordre d’une obligation. Par ailleurs, cela risquerait de sceller l’avenir de Caimanes à l’emprise de MLP. En effet, un document qui n’avait tout d’abord pas été rendu public, concernant les prérequis de ces négociations fait état d’un projet d’agrandissement du réservoir accompagné d’un accord de relations de collaboration entre l’entreprise et les habitants. Soulevée lors des premières réunions, la question de l’agrandissement du réservoir a provoqué des réactions de refus des habitants auxquelles MLP a répondu que « si la position des habitants était de s’opposer à la liberté d’agrandir le réservoir, alors aucune discussion n’était plus possible ».
En définitive, aujourd’hui pour de nombreux habitants, la réelle intention de MLP est claire : loin d’œuvrer à réparer les erreurs du passé et apporter des solutions au problème d’eau et de sécurité, MLP veut s’assurer de pouvoir continuer à décharger des déchets miniers le plus longtemps possible en minimisant le poids des sentences juridiques et en finir avec la résistance des habitants par le biais du processus de dialogue et d’accords extrajudiciaires. MLP offre en échange de cela, des travaux d’ouvrage pour la sécurité et le retour de l’eau, des sommes d’argent pour améliorer la qualité de vie des familles…
Déclaré dangereux par la Cour Suprême du Chili, reconnu d’avoir privé d’eau et contaminé l’eau de Caimanes par la même Cour Suprême, reconnu d’avoir violé le patrimoine par la Superintendance de l’Environnement, le réservoir de déchets miniers d’El Mauro pourrait-il s’agrandir encore ? Qu’en est-il de la justice, quand un accord post-verdict pourrait permettre de transformer la question de la reconnaissance des droits en celle de faveurs qu’une entreprise octroierait à ceux qui se plient à son bon vouloir ?
Ce n’est pas la première fois qu’à Caimanes une sentence juridique pourrait être détournée par un accord direct post-verdict. Il y a 8 ans, alors que le réservoir de déchets miniers était en phase de construction, la communauté fut trahie par l’avocat de l’époque qui organisa une conciliation avec l’entreprise alors que la Justice avait déterminé la non viabilité du projet (7) . L’histoire se répètera-t-elle ?
En réalité, à ce jour, la communauté est divisée sur le sujet. Pour certains, il n’y a pas d’autres alternatives qu’accepter ce que MLP est prêt à donner : acheminement d’une eau propre en quantité suffisante, déplacement des parties basses du village, un fond d’argent pour améliorer la qualité de vie des familles. Pour d’autres ces mesures sont insuffisantes. D’une part parce qu’elles ne représentent guère plus que ce pour quoi MLP a déjà été condamné sans apporter sur le sujet de solutions satisfaisantes : en effet l’avancée du processus de dialogue sur le thème de l’eau par exemple n’a toujours pas permis de démontrer comment MLP retournerait l’eau sous sa forme naturelle (8) et sur le thème de la sécurité du village, l’entreprise promet le minimum pour lequel elle a déjà été condamnée (9).
D’autre part parce qu’elles ont pour effet de mettre fin aux sentences juridiques, sans reconnaitre les dommages subis durant des années ni la responsabilité de MLP. Les quelques ouvrages à réaliser le seraient au prix d’une déculpabilisation bon marché de MLP qui, de plus, scellerait l’avenir de Caimanes vers une acceptation d’une soumission plus grande encore à l’emprise et à l’origine du problème : le réservoir serait agrandi et les habitants condamnés à vivre en dessous. Pour ces derniers, il n’y a d‘autre voie que la résistance.
A suivre…