« Echos des luttes pour l’eau »
22.03.2024
Pour la journée mondiale de l’eau, Eloïse Berard, chargée du programme “Vivant et Communs” à la Fondation, nous partage son regard sur la séquence actuelle autour des enjeux liés à l’eau et l’espoir suscité par la création du réseau de l’Hydre !
Alors que s’ouvre la campagne pour les élections européennes, partout sur le continent l’extrême-droite monte en puissance, tentant d’imposer un discours réactionnaire sur le retour en force des questions de terre et d’eau au cœur de la conflictualité politique. Au moment où le gouvernement français souhaite faciliter la construction de réserves de substitution, pensant ainsi apaiser la colère légitime des agriculteurs en érigeant le mouvement écologiste en bouc émissaire, le dernier rapport de la Cour des Comptes rappelle pourtant que l’Etat français n’est pas prêt à faire face au changement climatique, et que les méga-bassines peuvent présenter un risque de « mal adaptation au changement climatique ». Au lieu d’accompagner la transition vers des modèles de polyculture élevage qui protègent la biodiversité, la terre et l’eau, indispensables pour produire demain, le gouvernement donne un feu vert au complexe agro-industriel pour continuer sa très rentable fuite en avant, pourtant responsable de l’étranglement économique des agriculteurs et des paysans.
Depuis son engagement historique pour la reconnaissance du droit à l’eau et la défense de l’eau comme commun, la Fondation Danielle Mitterrand accompagne le mouvement pour l’eau qui grandit et se structure en France. De la mise en dialogue entre nos situations hexagonales avec d’autres réalités internationales, autochtones et paysannes, à l’appui au travail de mise en réseau entre collectifs locaux de défense de l’eau, nous nous tenons aux côtés de celles et ceux qui luttent pour d’autres usages, partages et relations à l’eau.
Eloïse Berard, Chargée du programme «Vivant et Commun(s)»
« Lutter depuis nos bassins versants »
Contre l‘accaparement et pour les biens communs de l‘eau
Extrait de la brochure du réseau Hydre, réalisée par Romain Cazaux.
« Le réseau Hydre, naissant et animé par différents collectifs, dessine au fil des rencontres une plateforme pour mettre en commun des savoirs sur l’eau et partager des narrations collectives de bassins versants pour faire des liens entre les luttes existantes et en faire émerger de nouvelles. Certains collectifs luttent localement contre des projets d’aménagement accapareurs ou pollueurs d’eau, d’autres donnent forme à des communautés d’enquêteurs autour de rivières ou de nappes phréatiques. Certains s’engagent localement pour éviter la destruction de milieux et de formes de vie, d’autres mettent en lien des expérimentations qui prolifèrent autour de cours d’eau en ruine, où la catastrophe a déjà eu lieu.
Tous ont en communs de s’intéresser aux eaux de leurs territoires. Ils enquêtent ici sur les non-humains accueillis dans une zone humide, ou là sur les communautés reliées par une rivière. Ils observent ici les métabolites charriés par un cours d’eau et là les sédiments transportés sur ses rives. Ils découvrent un peu partout les modalités d’une gestion de l’eau réservée aux scientifiques et aux notables blancs et investiguent les chaînes de décision qui rendent malgré tout possible le déploiement de filières mortifères. Ils constatent chaque jour un peu plus les multiples formes d’accaparement de l’eau à l’œuvre, pour des projets étatiques comme pour des projets privés, en zone urbaine comme en zone rurale. Ils décryptent comment les multinationales de l’eau et de l’énergie testent depuis des décennies dans l’Hexagone les infrastructures et les industries avec lesquelles ils exploitent les populations et accaparent l’eau ensuite sur le reste de la planète. Ils se renseignent sur l’histoire des cultures populaires et les formes paysannes de soin et de partage des eaux. Ils créent des liens dans les quartiers populaires des grandes villes ainsi qu’avec des militants autochtones et écologistes d’autres continents.
Comment, alors, penser une coalition des luttes sur l’eau, capable d’intégrer autant de situations et d’enjeux singuliers, pour dévoiler et mettre à mal les mécanismes de captation de la ressource qui se déploient de toute part ? Comment rendre commensurables des eaux plurielles, corsetées de l’amont à l’aval par une même ingénierie technique qui souhaite en faire une énergie potentielle, un bien de marché ou une ressource disponible ? Comment suivre les eaux courantes et souterraines peut nous aider à construire une critique en actes du capitalisme ?
Le travail à mener est ambitieux : construire des outils de mutualisation (cartographie des enjeux et des luttes pour l’eau, site internet compilant contacts, ressources, analyses, données), muscler notre connaissance de la gestion administrative de l’eau et de son histoire pour mieux la critiquer ; former les élus locaux sur les enjeux de l’eau, créer des groupes de journalistes, de scientifiques et de juristes pour analyser les projets destructeurs, dénoncer les réseaux de pouvoir économiques et politiques qui les soutiennent, construire des plaidoyers et porter des revendications fortes.
Dans cette plateforme polymorphe pourront se loger l’organisation de marches de l’eau ou de rencontres thématiques, des maisons de rivières et des observatoires flottants, des conférences sauvages et des récits-fleuves, des émissions radieaux ou vidéaux ainsi que des gazettes de ruisseaux.
Mais ce partage de savoirs situés serait vain sans la constitution d’assemblées politiques des eaux. Si les Commissions Locales de l’Eau sont parfois présentées comme des parlements de l’eau, alors réclamons que les délibérations qui s’y tiennent soient publiques, demandons à pouvoir décider des membres qui y siègent, renégocions la proportion des corps représentés. Suivre l’eau comme fil directeur des problèmes qui nous concernent pourrait bien faire advenir des formes plus coopératives de démocratie. À côté de cette critique à construire des prétentions à la bonne gouvernance des administrations, d’autres compositions politiques doivent pouvoir être inventées et expérimentées face aux menaces qui planent sur nos eaux. Laissons des communautés habitantes de ruisseaux se constituer, construisons des parlements de rivières, réclamons le droit de décider collectivement de l’horizon des fleuves. »