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Service public de l’eau et privatisation

29.05.2009

Dans de nombreux pays du Sud, les populations contestent le vieux modèle de l’entreprise étatique, souvent hérité de l’époque coloniale, en raison de sa dégradation, du manque de contrôle social et de la corruption. Les personnels affectés à cette fonction sont le plus souvent mal formés, mal considérés, mal encadrés et démotivés. Les moyens dont ils disposent, aussi bien en ce qui concerne la distribution que l’assainissement, sont obsolètes et insuffisants. Pour le PNUD « La crise de l’eau trouve son origine dans la pauvreté, l’inégalité et des relations de forces inéquitables, ainsi que dans des politiques de gestion de l’eau inadaptées qui en aggravent la rareté ».

La faible couverture par les services d’approvisionnement en eau contraint certaines populations, parmi les plus pauvres de la planète, à consommer une eau qui n’offre aucune garantie de sécurité sanitaire, acheminée par camions et vendue à des prix prohibitifs. Dans de nombreux bidonvilles une appropriation quasi mafieuse de la gestion de l’eau justifie de bonne foi la critique des dispositifs publics de gestion de l’eau et de l’assainissement.
D’autres ont mis en place des solutions alternatives improvisées avec l’aide des ONG du Nord. Ces réalisations, parfois communautaristes, bénéficient d’un bon contrôle social et s’apparentent à une gestion publique. Mais elles demeurent précaires en raison de l’incapacité d’assurer une maintenance coûteuse au long court.

On peut reprocher aux responsables politiques ne n’avoir pas su ou voulu mettre en place des dispositifs de gestion publique de l’eau moderne, juste et efficace. Leur responsabilité est entière dans les pays où les objectifs sanitaires sont relégués au dernier rang de leurs préoccupations. Pour de nombreux pays, l’eau n’est pas prioritaire dans les dépenses publiques et les états ne lui consacrent que 1% du PIB. Le PNUD demande à ces Etats de placer l’eau et l’assainissement en tête de leurs priorités et préconise un doublement de l’aide internationale soit 4 milliards de dollars de plus chaque année. Mais la disponibilité financière n’est pas suffisante car ceux qui souhaitent réaliser une politique volontariste de gestion publique de l’eau et de l’assainissement se heurtent au refus des investisseurs internationaux (BM, FMI et OMC). En effet, les financements publics sont le plus souvent réservés aux projets privés au prétexte que la gestion privée de l’eau est bien plus efficace et que les programmes sont plus simples et plus rapides à mettre en œuvre avec des entreprises motivées par le profit.
Ainsi, l’absence de toutes subventions nationales ou internationales en direction des régies publiques ouvre largement le marché aux multinationales qui n’ont aucun mal à imposer leurs projets. Dans les années 90 l’Amérique Latine a fait l’objet d’une politique de dérégulation des normes de gestion existantes et, simultanément, d’un début de privatisation. La justification de cette offensive était la mauvaise gestion et la carence du service public.

La gestion privée : L’eau ?, de l’argent liquide !

Le capitalisme néolibéral s’intéresse de plus en plus au secteur tertiaire. Il cherche à conquérir les biens communs et les ressources vitales, l’éducation, l’énergie, la santé, les transports et jusqu’aux entreprises funéraires. Comme l’économie tertiaire représentera bientôt 70% du PIB européen et il y a une forte pression des marchés financiers mondiaux pour investir ce secteur.

La principale conviction des tenants de la privatisation des services concerne l’efficacité et la compétence qui ne sauraient être que privées. A cela ils ajoutent, avec une bonne dose d’hypocrisie, que la soustraitance privée n’enlève rien à la liberté des élus et à la responsabilité des pouvoirs publics locaux qui peuvent toujours, quand ils le souhaitent, retourner à la gestion publique. Ils ajoutent que leurs investissements contribuent à la croissance du PIB et donc à la lutte contre la pauvreté.

Ces propos reçoivent un écho favorable des classes dirigeantes car leur culture dominante les conduit à nier la pertinence de la gestion publique. C’est une conséquence de la confusion des esprits qui confondent socialisme et collectivisme. Cette confusion est entretenue grâce à la persistance, dans l’opinion d’une culpabilité post communiste. Ce préjugé est présent chez les politiques dits « progressistes » fascinés par le dogme libéral selon lequel le principe de concurrence est le facteur essentiel d’optimisation du service rendu. Les libéraux et les socio-démocrates se retrouvent donc sur la condamnation de la gestion publique de l’eau. Pour eux il faut faire confiance à l’efficacité de la gestion privée, plus active et plus directe, même si elle est plus chère.

A l’épreuve des réalités ces arguments ne tiennent pas. En effet aucune multinationale ne peut agir de façon compétitive sur la base et selon les principes de la coopération, de la justice et de la répartition équitable.

 La gestion privée de l’eau a conduit d’une manière constante à une augmentation des prix : Dans les années 90, l’ajustement structurel, imposé par les institutions monétaires internationales, s’est accompagné d’une augmentation très importante du coût de l’accès à l’eau (de 80 à 500% selon les cas). La privatisation entraîne un changement complet dans la structure des tarifs. Si le « prix de l’eau » indexé sur la consommation reste à peu près constant, l’essentiel du montant de la facture est justifié par des charges fixes et forfaitaires annuelles qui dans certains pays d’Amérique Latine ont été multipliés par 7. Par voie de conséquence l’eau potable et son service sont devenus une marchandise que seuls les plus riches peuvent s’offrir. L’intervention de fonds privés conduits à privilégier la clientèle solvable en abandonnant les secteurs non rentables à la débrouillardise des populations les plus pauvres qui se retrouvent encore plus exposées aux entreprises mafieuses.

Exemples : Au Mexique, un tiers de la population urbaine n’a pas de titre de propriété et ne peut, par conséquent, avoir un accès « légal » à l’eau. En effet, une facture d’eau ne peut être établie qu’au titulaire d’un titre de propriété. Des millions de mexicains sont ainsi « légalement » privés d’eau potable et ne peuvent, a fortiori, participer à la gestion de la distribution. Comme ils sont sortis des statistiques la commission nationale de l’eau peut, en toute rigueur statistique, prétendre que 92% de la population a accès à l’eau…En Afrique du sud, Suez a demandé la fermeture des fontaines publiques pour éviter une concurrence déloyale. Il n’a pas été, pour autant, proposé aux populations d’autre forme d’approvisionnement. Elles s’alimentent depuis aux rivières polluées….

 De plus, la gestion privée recourt à des consultants dispendieux, et exclusivement soucieux de proposer des solutions générant des profits maxima au prix de choix technologiques souvent erronés. Des sommes considérables sont dépensées en consultance chez Price Waterhouse, Deloitte Touche, Adam Smith Institute…Ces consultants n’ont, bien évidemment jamais accordé le moindre intérêt à la formation des travailleurs de l’eau et au contrôle social. Bien au contraire, ils ont constamment remis en cause le savoir faire du personnel des dispositifs antérieurs afin d’imposer leurs propres salariés et de n’avoir aucun compte à rendre aux populations. Les sociétés privées qui gèrent les affermages dans les communes maintiennent les élus dans une ignorance totale afin de leur enlever tout pouvoir de réflexion et en leur faisant croire qu’elles seules disposent de la technicité pour réaliser ce service.

 Enfin, la gestion privée de l’eau potable a pour effet une dégradation de l’environnement et un gaspillage de la ressource car les investissements, réalisés avec un objectif de rendement à court terme, ne tiennent compte ni des financements nécessaires à la maintenance au long court des infrastructures, ni de la capacité de la ressource et de son renouvellement.

L’intervention des sociétés de service sous forme d’une gestion privée ou semi privée consiste avant tout à dégager des profits au détriment des populations les plus pauvres.

Nous nous acheminons aujourd’hui vers une société humaine dans laquelle il ne sera pas possible de vivre si on ne peut acheter l’eau…pire, vers une société qui offre à certains hommes et organisations, la possibilité de s’enrichir en s’appropriant un bien collectif…