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Première « zone autochtone à défendre » du peuple Kali’na

17.11.2022

Depuis plus de 30 ans, le peuple Kali’na du village Prospérité, en Guyane, engagé dans un projet associatif d’autonomisation de ses ressources (projet soutenu par la Fondation Danielle Mitterrand depuis 2020) attend de l’État qu’un terrain lui soit confié au titre des « zones de droit d’usage collectif ».

En moins d’un an, la société HDF Energy a obtenu l’autorisation d’y implanter une centrale électrique. En France aussi, les droits des peuples autochtones passent à l’as.

Les villageois contestent pourtant depuis plusieurs années l’emplacement du projet de Centrale Electrique de l’Ouest Guyanais (CEOG) conjuguant du solaire photovoltaïque et une unité de stockage sous forme d’hydrogène qui vise à approvisionner l’équivalent de 10 000 foyers de l’ouest de la Guyane. Une surface de 75 hectares sera sacrifiée en plein milieu d’une forêt tropicale, au sein d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et du Parc naturel régional de Guyane. Mais la centrale s’implante également en lisière du village Kali’na Atopo Wepe,de 200 habitants, près de Saint-Laurent du Maroni

« Depuis 2018, nous ne cessons de demander la réalisation du projet ailleurs que sur notre espace de vie, de chasse et de transmission. La vie de notre village s’organise autour de la forêt. Nous souhaitons que cela continue ainsi. Nous connaissons les conséquences lorsque nos villages se tournent exclusivement vers la ville : perte des savoirs et des repères, trafic de drogue, précarité… Nous sommes conscients qu’administrativement, l’entreprise dispose d’une autorisation préfectorale définitive pour faire tomber les arbres, même les plus sacrés. Mon peuple est fort et fier ! Il est bien déterminé à s’opposer à l’implantation de cette centrale dans notre espace de vie. La Guyane est grande, nous invitons donc, une dernière fois, à déplacer définitivement ce projet dont nous ne contestons pas l’utilité mais la localisation. Aucune mesure compensatoire ne nous fera changer d’avis », commente Roland Sjabère, le chef du village, pour Le Courrier.

Depuis décembre dernier, les mobilisations du village menées par le Yopoto (chef coutumier en langue Kali’na) sont soutenues par de plus en plus d’associations, organisations autochtones et chefs coutumiers dénonçant le mépris de leur parole et l’avancée des travaux malgré les tentatives de recours juridiques et de dialogue.

Le lundi 24 octobre 2022, l’arrestation brutale et disproportionnée du chef dans son village, et de 3 autres villageois, suite à une journée de mobilisation pour contester la reprise des travaux de déboisement, marque officiellement une nouvelle étape dans leur lutte.

La Fondation Danielle Mitterrand apporte tout son soutien à Roland Sjabere, Yopoto et chef coutumier du village, à Philippe Lamboley et aux deux autres habitants de Prospérité qui ont été placés en garde à vue à la suite de cette journée de mobilisation, ainsi qu’à tous.tes les habitant.es du village et leurs soutiens. 

Nous dénonçons ces pratiques d’intimidation qui visent à entraver la lutte légitime des communautés autochtones qui défendent leurs terres et des manières plus justes d’habiter le monde.

Nous joignons aussi notre voix à celle des habitant.es et leurs soutiens qui exigent l’arrêt immédiat des travaux de déforestation en bloquant physiquement leur avancée sur le terrain, et la reprise d’un dialogue autour du déplacement du projet CEOG sur un terrain localisé à cet effet.  

Eloise BERARD
Chargée du programme « Vivant et commun(s) »

Les habitants du village Wepe manifestent contre le projet CEOG

Pour aller plus loin :

Du projet CEOG au conflit foncier en Guyane 

Ce projet de centrale électrique est au centre de la zone de vie du village, et la préfecture a défini une délimitation de la ZDUC (Zone de droit d’usage collectif) qui ampute le territoire Kali’na, de manière à laisser le champs libre au site CEOG, sans tenir compte de la demande légitime des villageois. On voit là toutes les limites politiques au dispositif des ZDUC : si elles constituent une avancée en reconnaissant des droits d’usages collectifs, et permettent aux communautés de pratiquer leurs activités traditionnelles en forêt, les terres relèvent en dernière instance de la propriété de L’État. Ainsi, « les communautés ne peuvent déterminer par elles-mêmes l’usage qu’elles souhaitent faire de ces terres, alors que l’État ne se prive d’aucune possibilité[1] », comme celle de délivrer des permis à des sociétés pour aménager, extraire des ressources ou construire des équipements collectifs. Les peuples autochtones revendiquent depuis de nombreuses années la pleine et entière souveraineté sur leurs terres pour pouvoir assurer la pérennité aux villages mais aussi et tout simplement en vertu de leur droit sur les terres, territoires et ressources tels qu’affirmés dans la Déclaration des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007.

« L’autodétermination des nations amérindiennes ne peut s’exercer sans reconnaissance de notre souveraineté sur les terres qu’on habite et dont on prend soin depuis des centaines d’années ! » Christophe Pierre.

Le processus de restitution de 400 000 hectares de terres (soit moins de 5 % du territoire guyanais), revendication de longue date des organisations autochtones, qui s’est réactivé grâce au mouvement social de 2017 et aux mobilisations massives, pourrait constituer un pas décisif dans la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des peuples autochtones à leur autodétermination.

La CEOG s’inscrit ainsi dans ce contexte plus large : pour Christophe Pierre interrogé par le média La Relève et la Peste, « La CEOG est un cas d’école sur le conflit d’usage du foncier en Guyane ».

La philosophe Sophie Gosselin et la Fondation Danielle Mitterrand reviennent sur les enjeux de cette restitution de terres pour en analyser les avancées, les potentialités et les difficultés, dans la revue Socialter.

La cagnotte : le Village Prospérité face à la CEOG centrale electrique de l’ouest Guyanais – OnParticipe

Pétition de soutien : UN VILLAGE VERT DE RAGE – LUTTE POUR LE DEPLACEMENT DE LA CEOG – GUYANE FRANCAISE – We Sign It

Communiqué de la Fédération des Organisations Autochtones de Guyane (FOAG)

Lire notre article en soutien au village Wepe (janvier 2022) : La Fondation Danielle Mitterand Guyane : Soutien au village Wepe ! (fondationdaniellemitterrand.org)

[1] Anna Lochard, « A qui appartient la forêt, Terres ancestrales et luttes foncières en Guyane », Revue Z, n°12, 2018, p. 111.