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Persister à partir de nos corps et territoires

07.03.2024

Pour la journée internationale des droits des femmes, Manuela Royo et Nicole Venegas, membres du collectif Sur Territoria, qui mène des actions d’éducation populaire dans la région du Wallmapu au Chili, partagent leurs réflexions écoféministes.

Avec l’accord amical du Monde Diplomatique Chili, nous traduisons et mettons en lumière leurs mots puissants ! Bien que leur lutte ne soit pas l’affaire d’une seule journée, en ce 8 mars, mettons en lumière toutes ces femmes qui luttent contre les violences patriarcales, capitalistes et coloniales et bâtissent inlassablement les bases de nouveaux mondes !

La journée du 8 mars face à la crise climatique.

Par Manuela ROYO* et Nicole VENEGAS**

Un nouveau 8 mars nous attend face à un moment historique à l’échelle mondiale. Un moment de crise, de guerre et de génocide où des trajectoires de plus en plus polarisées se dessinent. La crise environnementale progresse à un rythme constant et effréné, conséquence de la croissance économique illimitée dont une des manifestations est le changement climatique.

Lorsqu’il y a un déséquilibre dans le processus métabolique du corps humain, celui-ci tombe malade en raison de l’anormalité dans les réactions chimiques qui perturbent le processus. La relation entre la nature et les humains peut être comprise à partir de cette analogie, de l’influence humaine sur les cycles naturels dans un contexte d’interdépendance globale des systèmes sociopolitiques et biophysiques qui influent sur le changement climatique mondial. Nos corps et territoires sont profondément connectés. Le système capitaliste mondial en expansion constante, influe dans l’organisation des interactions humaines avec l’environnement, principalement à travers des structures hégémoniques et corporatives de pouvoir et la concentration de richesses produites grâce à une extraction permanente d’éléments naturels de plus en plus rares, comme le montre la crise actuelle d’extinction de multiples espèces à l’échelle mondiale. Ce modèle d’extraction permanente est celui qui a rompu l’équilibre avec la nature.

Dynamique destructive

Ce sont précisément les méthodes d’exploitation et de domination de l’environnement par le système capitaliste qui ont directement affecté les femmes. Le capitalisme hétéro-patriarcal dépend et porte atteinte au temps et au travail que nous, les femmes, réalisons majoritairement dans le domaine des soins, et applique la même logique extractiviste aux biens naturels dont il tire profit pour le capital sans tenir compte de leurs limites, de leur régénération naturelle et de leur durabilité. Le dépassement des limites écosystémiques a entraîné l’imposition d’un modèle de vie qui mine les bases matérielles de la vie, dans une dynamique de destruction et de soumission qui affecte principalement les femmes, comme le montrent clairement les effets du changement climatique sur la nature et sur la vie de celles et ceux qui l’habitent.

Les femmes du Sud global ont été parmi les nombreuses victimes des impacts disproportionnés du changement climatique, qui s’ajoutent à la marginalisation préexistante et à la vulnérabilité due à la discrimination et à l’inégalité. Le système capitaliste patriarcal, selon les logiques extractivistes sur les corps et les territoires, a créé des zones de sacrifice environnemental, culturel et social, exacerbant dans les contextes de crise climatique les inégalités structurelles et la violence, ne permettant pas le plein développement des capacités des femmes, les laissant dans une situation minée, qui affecte également les soins, l’éducation, elles-mêmes, l’organique et la lutte pour la vie. 

L’intégration du féminisme à l’organisation environnementale nous a permis de reconnaître que la même oppression que nous vivons en tant que femmes submerge également les territoires. C’est pourquoi nous défendons la reproduction de toutes les formes de vie, de manière digne, et l’équilibre et la résilience de l’ensemble des écosystèmes. Ce n’est pas un hasard si l’extrême droite et les droites néofascistes accèdent au pouvoir, venant administrer et approfondir le néolibéralisme qui montre son visage vorace, tout en approfondissant un modèle qui manipule la nature pour la transformer en droits de propriété privée : le meilleur exemple en est le régime constitutionnel de propriété privée des eaux du Chili.

Défense de la nature

Face à un scénario où prédominent les décisions politiques et administratives fondées sur un système politique et économique qui ne respecte pas les limites écologiques de la planète ni les relations d’interdépendance qui la soutiennent, la défense de la nature devient un devoir. Dans cette lutte, les femmes ont joué un rôle fondamental, principalement dans la construction d’un discours collectif et d’une pratique qui ont permis de remettre en question les logiques dominantes et de construire un programme qui permette de consacrer l’eau, la terre et l’énergie comme des biens communs et des droits humains.

Depuis nos corps, notre premier territoire, nous affrontons les modèles écocides. Nous défendons notre droit à décider de l’utilisation des biens de la nature, dépassant ainsi une vision anthropocentrée et les besoins uniquement humains, en intégrant les droits des autres êtres vivants et de l’ensemble des écosystèmes. Nous croyons en notre capacité à créer et à définir nos propres politiques et stratégies durables de production et de reproduction, de distribution et de consommation, en pensant à la souveraineté énergétique et alimentaire, au droit collectif aux soins, à l’accès à l’eau et à la terre ainsi qu’à leur gouvernance. Nous avançons vers des modèles de santé et d’éducation communautaires. En cette journée du 8 mars, en tant que femmes organisées et responsables, nous assumons que résister à l’avancée extractiviste n’est pas une option, c’est notre devoir. Nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas être spectatrices de notre disparition.    

*Modatima/SurTerritoria / http://modatima.cl/
**SurTerritoria / https://surterritoria.org/

Ce texte provient d’un article publié dans l’édition chilienne du Monde Diplomatique, qui nous a gracieusement accordé l’autorisation de le traduire et de le diffuser. (https://www.lemondediplomatique.cl/ )

Illustration de José Venturelli, Fillettes cueilleuses (Courtoisie de la Fondation José Venturelli)