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Pauline Lavaud interviewée pour Bastamag : Cochabamba : de la « guerre de l’eau » à la conférence alternative sur le climat.

21.04.2010

10 ans après la guerre de l'eau, que représente Cochabamba pour les mouvements qui se battent pour une réappropriation de l'eau en tant que bien commun ?


Il y a exactement dix ans, les habitants de Cochabamba en Bolivie se soulevaient contre la privatisation des services d’eau et d’assainissement de la ville par l’entreprise nord-américaine Bechtel.

En quelques mois seulement, la concession des services de production et de distribution d’eau à cette entreprise privée avait engendré une explosion des tarifs (pouvant aller jusqu’à 250% !), une accaparation des ressources et sources jusqu’alors utilisées par les paysans de la région… et aucune amélioration en terme de taux de raccordement au réseau.

Mais c’est surtout le refus de voir l’élément vital et indispensable à toute forme de être traité comme une vulgaire marchandise qui a poussé les habitants de Cochabamba à s’unir et résister contre cette logique. Dans la culture indigène, très prégnante en Bolivie, les éléments naturels sont au cœur de la spiritualité et du rapport entre l’homme et son environnement. L’idée de s’approprier la nature et l’utiliser à des fins marchandes est tout simplement inconcevable…
La spectaculaire mobilisation citoyenne contre Bechtel et le gouvernement bolivien, entre janvier et avril 2000, a eu raison de l’entreprise qui a été contrainte de quitter le pays.


La « Guerre de l’eau » a été un temps fort pour les luttes sociales d’Amérique du Sud. Elle symbolise la résistance populaire à la logique de privatisation de tous les services essentiels dans ces pays, comme l’eau, l’électricité ou les télécommunications, sous pression des institutions financières internationales et du consensus de Washington. C’est tout le mouvement international de défense de l’eau qui a repris espoir à Cochabamba. Les luttes menées contre la privatisation à travers tout le continent (d’Argentine au Honduras en passant par le Chili) y ont puisé leur forces, tout comme les initiatives pour faire reconnaître l’eau comme un droit, non seulement de l’homme mais aussi de la nature dans de nombreux pays (Equateur, Bolivie, Uruguay, Colombie…).


Mais le soulèvement de Cochabamba a dépassé les frontières du continent. A l’occasion de dix ans de la guerre de l’eau, plus d’une centaine de militants internationaux venant d’une vingtaine de pays sont venus exprimer leur solidarité avec les habitants de Cochabamba et rappeler l’impact de la guerre de l’eau sur leurs propres luttes. Tous ont fait le rapprochement entre le soulèvement de Cochabamba contre la privatisation de l’eau et le mouvement plus large récupération des biens communs et de rejet de la globalisation néolibérale. 10 ans ont passé et la guerre de l’eau de Cochabamba reste une source d’inspiration pour le mouvement de l’eau à travers le monde.


 Du 15 au 18 avril se tenait la troisième Feria del Agua à Cochabamba, quels enseignements en retirer ?


A l’occasion des dix ans de la guerre de l’eau, ASICA SUR (l’association qui regroupe les comités d’habitants de la zone sud de la ville qui gèrent eux-mêmes l’eau, faute d’être raccordés au réseau municipal) et la Coordination pour la défense de l’eau et de la vie (née pour lutter contre l’arrivée de Bechtel et la privatisation de l’eau), en partenariat avec de nombreuses ONG locales et internationales, ont organisé entre le 15 et 18 avril 2000 la IIIème Feria Internationale de l’eau.

L’occasion de célébrer et commémorer les victoires qui ont suivi celle de Cochabamba, mais également de rappeler la situation critique de l’eau, qui continue à être l’objet de toutes le convoitises, que ce soit par des Etats ou des entreprises privées, et génère inégalités, tensions et conflits.

Pour les Cochabambins, le constat est amer : dix ans après la guerre de l’eau, 55% de la population est toujours privée d’accès à l’eau potable, et elle ne croit plus les promesses de solutions qui leurs sont faites (notamment la construction du grand barrage « MISICUNI » dans la région). Dans la zone Sud, où le plan d’expansion promis par SEMAPA, l’entreprise redevenue municipale après la guerre de l’eau, n’a jamais vu le jour, la gestion communautaire est « l’une des meilleures alternatives, car elle est efficace, et permet à de nombreuses familles d’avoir accès à ce service basique » Abraham Grandydier, Président d’ASICA SUR. Le renforcement de ce type de gestion et de coopération entre communautés et entreprises publiques est l’une des priorités pour les participants de la Feria.

La Feria a aussi été l’occasion pour les habitants de Cochabamba d’échanger avec des militants du monde entier, et pour tous de prendre conscience de l’absolue nécessité de renforcer les liens entre les luttes locales pour l’accès à l’eau et les enjeux plus globaux autour de l’eau et du changement climatique, du fait de l’interdépendance de plus en plus évidente entre ces problématiques.

Le 20 avril débute le sommet de Cochabamba. Quelles sont les attentes des mouvements liés à l’eau, qui se sont réunis dans le cadre de la Feria ?

L’organisation de la Conférence des peuples sur le Changement climatique et les droits de la terre mère (CMPCC) dans les jours qui suivent la Feria del Agua offre au mouvement de l’eau la possibilité de se faire entendre.
A la fin de la Conférence, un texte issu des travaux des 17 groupes de travail qui réunissent mouvements de la société civile, scientifiques, experts et représentants de gouvernements autour d’autant de thématiques liées au changement climatique, sera adopté. Suite à la réunion des groupes de travail des négociations sur le climat début avril à Bonn, il a été décidé que le document issu de Cochabamba pourrait être intégré aux documents de référence pour la poursuite du processus en vue de la COP 16 à Cancun.


La conférence ouvre donc la possibilité à la société civile de faire entendre ses positions, revendications et propositions pour lutter contre le changement climatique. La Feria a permis au réseau de travailler et adopter un texte qui sera présenté dans tous les espaces de discussion de la Conférence, et partagé avec les autres mouvements.

Les principaux points sur lesquels le réseau souhaiterait obtenir des engagements de la part des gouvernements qui participent à la Conférence sont les suivants :

– Ne plus participer au forum mondial de l’eau, organisé tous les trois ans par le conseil mondial de l’eau qui ne représente que lui-même et les intérêts des multinationales qui le contrôlent.

– Faire pression pour que la COP 16 soit réellement démocratique et ouverte aux organisations sociales et de la société civile.

– Introduire l’eau comme sujet à part entière dans les négociations sur le climat, et pas seulement comme moyen pour la production d’énergie (hydroélectrique et agro-carburants) dans le cadre du marché des crédits carbone.


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