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Octobre 2009: Danielle Mitterrand intervient à l' »Université Populaire Participative »

15.10.2009


Téléchargez l’intervention: POITIERS_2009_octobre_Danielle_Mitterrand_L_eau_bien_commun_de_l_humanite_.pdf

Si je commence par un constat qui met en évidence l’inquiétude des êtres pensants dits doués d’intelligence et capables d’évolution, vous partagerez certainement cette inquiétude qui, à des degrés divers, va de l’exaspération chez les plus conscients, à la recherche d’aménagements fatals chez les tenants du système
Les biens communs de l’humanité sont, tout compte fait, au nombre de quatre, comme les quatre éléments de la Tradition :

  la Terre avec son sous-sol riche en énergie et son sol nourricier

  La Lumière, celle du soleil, de l’ultra-violet à l’infrarouge

  L’Air et son mélange si subtil de gaz vitaux et de polluants mortels

  L’Eau, enfin, solvant biologique universel et transporteur de tous les éléments vitaux.
Les quatre éléments ne sont pas à vendre, ils sont la propriété inaliénable de la biosphère, donc du vivant.
Face à ce constat mon exposé oppose deux conceptions de la société pour l’avenir. Pour une bonne compréhension d’une situation qui actuellement met en cause la responsabilité de chacun, je vais rapidement en parcourir les étapes déterminantes concernant l’eau.

D’abord France Libertés.
Nos statuts nous donnent pour mission de défendre les droits de l’Homme et ceux des peuples en proie aux dictatures, qu’elles soient politiques, économiques ou militaires.

Très vite dès la fin de la première « décennie de l’eau », 1980-1990, les témoignages de populations affluent pour dénoncer leurs difficultés à accéder à l’eau nécessaire à la vie.
Des chiffres s’imposent :
1 milliard et demi de personnes dans le monde n’ont pas accès à l’eau potable. Près de 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès à l’assainissement. Selon l’OMS, chaque jour, 34 000 personnes dont 6 000 enfants meurent pour avoir bu de l’eau polluée.
Avant de s’interroger pour savoir si l’accès à l’eau est un droit reconnu ou un besoin à satisfaire, nous nous sommes questionnés sur les raisons d’une telle situation :

A l’évidence, l’inégalité dans le partage de l’eau est le reflet le plus inacceptable de la répartition des richesses sur notre terre. Il souligne un manque de volonté politique particulièrement dommageable. Voire criminel.
Le Sommet de Rio aurait pu nous rassurer en déclarant que tout serait mis en œuvre pour qu’en 2000, l’eau soit accessible partout où elle manque encore.
Cette conviction, ²François Mitterrand sut l’exprimer avec une force particulière, à Rio, le 13 juin 1992, 17 ans avant le Grenelle de l’Environnement, à l’occasion de la conférence Internationale sur l’environnement et le développement dite « sommet de la terre ».
A cette occasion il déclarait : « un jour on nous dira : … qu’avez-vous fait ?… Notre devoir est de faire que la terre nourricière soit à la fois notre maison et notre jardin. Notre abri et notre aliment. »
Et il poursuivait : « Mais comment définir notre tâche ? Elle est d’imaginer et de mettre en œuvre un mode de croissance et de développement au Nord comme au Sud qui préserve et restaure … l’environnement nécessaire aux diverses formes de la vie – Environnement et développement vont de pair ».

Il aurait suffi aux organisations comme la nôtre d’être vigilantes.
D’autant plus que les bémols n’ont pas tardé à freiner l’espérance :
On entend bien que les ressources en eau sont de plus en plus fragilisées par la surconsommation et la pollution, selon les informations réitérées. Sous la pression démographique, la pénurie progresse. Les plus grands dangers sont encore à venir : des conflits liés à l’eau, des engagements trop faibles des pays à hauts revenus, un endettement supplémentaire des pays les plus pauvres pour accéder à l’eau et à l’assainissement… Autant d’arguments ajoutés à ceux de la pollution, du réchauffement de la planète et des extensions des zones arides.
De plus, le budget ! Considérable, prétendent ceux qui sont en chargent de le rassembler :
: « Comment ? Alors que tous les ans vous vous allouez, vous les Etats, mille milliards trois cents millions de dollars pour votre armement et vos engins de mort, vous ne sauriez en distraire 1% pendant 15 ans pour entretenir la vie des populations qui n’ont pas accès à l’eau ?
A partir de là, se conforte le challenge qui d’une part, opposera, au dictat de l’argent et de la sécurité par la force, d’autre part, la priorité à la vie défendue par les valeurs humanistes dans une société respectueuse de l’environnement.
Les espaces et les acteurs altermondialistes ont permis tout au long de la décennie 2000, de rendre visibles les contradictions fondamentales autour des enjeux de l’eau que masquent les

Quand en 1990, à une réunion internationale d’ONG, fut adopté la charte de Montréal qui stipule le droit à l’accès à l’eau, on voit, la même année, les Institutions Financières Internationales, les IFI, organiser les premières grandes privatisations. Quel paradoxe !

Même chose avec la création du Conseil Mondial de l’Eau (CME) quatre ans plus tard, en point d’orgue au lancement par la Banque Mondiale de sa politique générale dans le domaine de l’eau. Ce Conseil qui ne représente que lui-même organise des réunions « privées » et se présente comme le lieu international de rencontre pour « parler » de l’eau.En fait, tout se joue en marge de l’espace public, dans un jeu d’interactions perverses, puisque toutes les catégories d’acteurs s’y retrouvent en dehors des lieux et des règles habituelles de fonctionnement et de décisions des instances internationales.
Tous les trois ans les membres de ce Conseil se retrouvent pour entendre des déclarations dont je vous laisse juger de la pertinence, du style : « l’eau sera le pétrole du XXIème siècle », affirmation du roi du Maroc ; ou encore « l’eau doit être une marchandise dont le prix est fixé par l’offre et la demande » magnifique constat pêché dans le rapport de Mise en Valeur de l’eau dans le Monde.
Heureusement quelques discordances au sein du CME, sauvent l’honneur, grâce au PNUD et l’UNESCO (membres) qui s’inspirent quelque fois et se rapprochent des thèses des altermondialistes
.Ces altermondialistes qui dans le même temps, se référant au Manifeste de l’Eau présenté en 1998 simultanément à Lisbonne, à Valence et à Bruxelles ont généré l’acte de naissance du Contrat Mondial de l’Eau, proposé par Mario Soarez et Riccardo Petrella.
Au fil des FSM, et des Forum alternatifs mondiaux (FAME), l’eau devient le sujet symbolique des enjeux sociaux et environnementaux, pour en arriver à Caracas, en 2006, à une déclaration conjointe des mouvements et organisations sociales de l’eau.
Autour de cette Déclaration, s’est constitué un vaste mouvement pour porter ce message de l’eau. Je parle des « Porteurs d’Eau » qui se réfèrent à la Charte des Porteurs d’Eau ainsi rédigée :
CHARTE DES PORTEURS D’EAU
1) l’eau n’est pas une marchandise. L’eau est un bien commun non seulement pour l’humanité, mais aussi pour le vivant.
2) Afin de garantir la ressource pour les générations futures, nous avons le devoir de restituer l’eau à la nature dans sa pureté d’origine.
3) L’accès à l’eau est un droit humain fondamental qui ne peut être garanti que par une gestion publique, démocratique et transparente, inscrite dans la loi.

La prochaine épreuve de force pourrait se dérouler à Copenhague pour imposer le bien fondé d’un Protocole Mondial de l’Eau. Il faudrait pour cela que les instances dirigeantes veuillent bien inscrire la problématique de l’eau à leur agenda.

Si, depuis 2004, la notion du droit à l’eau est reconnue publiquement par le président du Conseil Mondial de l’Eau, William Cosgrove, dans son application, il y a loin de la coupe aux lèvres.

Les deux axes de la polarisation antérieure demeurent et s’affrontent: d’un côte, le « tout économique » porté par certains gouvernements et les grands acteurs économiques qui considèrent que la soumission aux règles du marché reste la voie à suivre, et de l’autre, ceux qui donnent la priorité au respect d’un ensemble de valeurs humanistes et environnementales.

Nous en sommes là en ce début de mois d’octobre.
Nous nous trouvons confrontés à un système politique solidement structuré pour servir une pensée unique qui préconise le profit et la rentabilité, la richesse financière illusoire pour les Etats, (dont le PIB en est l’expression), l’exploitation inconsidérée des biens de ce monde ajoutant les ressources humaines aux ressources naturelles.
La crise révélatrice de cette gabegie, n’a rien enseigné aux puissants, puisqu’ils comptent bien reprendre le cours des choses dès que la tempête sera calmée.
Comment faire comprendre que la politique de l’eau est un préalable à toute construction d’avenir ? C’est en menant une réflexion sur le statut et le rôle de l’eau sur la planète, que nous concluons que nous sommes tous dépendants les uns des autres comme nous dépendons de l’eau pour vivre.
Priver quiconque de l’eau qui lui est nécessaire par cupidité, est un criminel.
Vous ne trouverez personne pour me contredire. Même ceux qui mènent cette politique prédatrice.
Et vous entendrez les discours le plus convaincants dans les instances les plus opposées clamer que l’eau pour Tous est une priorité, que les retenues par les barrages et les détournements de rivières ou de fleuve sont pour le meilleur des mondes. Que les hommes sont égaux devant le nécessaire accès à l’eau.
Mais alors ? Alors ? J’ai compris que pour convaincre et entrainer l’adhésion à deux objectifs antinomiques, les mêmes mots employés ne voulaient pas dire la même chose.
Aujourd’hui pour arriver à maintenir le statut quo, forts de s’appuyer sur le consensus populaire, les bonimenteurs brouillent les cartes, plus personne ne comprend plus rien et on s’en remet à la fatalité.
Quand le représentant d’une grande entreprise multinationale de l’eau parle de l’eau pour tous, il sous-entend pour tous ceux qui peuvent payer.
Dans leur conception du monde, L’humanité se borne aux consommateurs et l’individu n’est qu’un usager… de leur service, de leurs prestations, de leurs entreprises.

Nous sommes déterminés à être fermes sur notre vision du rôle vital de l’eau et de sa mission de lien, de rapprochement et de paix ;
A argumenter notre conviction avec des mots qui signifient qu’un chat est un chat, et que nous ne nous laissons pas berner.
Déjà nous avons gagné sur la fatalité de l’impuissance.

Au cours de nos échanges, c’est en abordant les nombreux sujets qui nous importent, que vous conforterez votre propre détermination à nous rejoindre en devenant des Porteurs d’Eau.