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Le droit à l’eau bientôt effectif en France?

06.06.2016


Tribune publiée sur le Huffington Post, co-écrite par
Emmanuel Poilane, directeur de France Libertés
Henri Smets, membre de l’Académie de l’eau
Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France

Cette loi vise à reconnaître le droit à l’eau et à l’assainissement en France et à mettre en place les moyens de son application.

Comme il existe en France des milliers de ménages sans branchement à l’eau potable, la proposition de loi met l’accent sur la nécessité de disposer dans chaque commune de points d’eau potable auxquels tous les usagers mais surtout les usagers sans branchement pourront s’approvisionner librement. Cette exigence n’a rien de spectaculaire car elle appartient à la tradition ancestrale d’hospitalité pratiquée dans nos villes et nos villages.

Dans les communes de plus de 3500 habitants, un accès à des toilettes publiques sera organisé. Dans les collectivités de plus de 15.000 habitants, il faudra prévoir des douches et des laveries auxquels les personnes sans branchement bénéficieront d’un accès gratuit. Ces dispositions sont déjà mises en œuvre sur une grande échelle conformément aux obligations des collectivités en matière d’hygiène et de salubrité. Elles permettront de donner accès à l’eau et à l’assainissement à des touristes, des gens du voyage, des SDF et des migrants mais surtout aux citoyens dans l’espace public. Le coût de ces mesures sera très limité car il y a relativement peu de personnes en France sans branchement à l’eau potable et toutes les mairies disposent à la fois de l’eau courante et de toilettes qu’il suffira de mettre à disposition.

Au-delà de l’accès à l’eau dans la cité, la proposition de loi vise les nombreuses personnes en situation de précarité qui ont du mal à payer leur alimentation en eau. Elle définit celles qui devraient bénéficier d’une aide préventive pour compenser le prix relativement élevé de l’eau et de l’assainissement au regard de leurs revenus et se réfère à un plafond de 3% de ces revenus à consacrer aux dépenses d’eau et d’assainissement.

Concrètement, seuls les usagers ayant de faibles revenus dans les zones d’eau chère recevront une allocation forfaitaire d’eau d’un montant qui varie en fonction de la taille du ménage et ses revenus. La crise économique étant ce qu’elle est, le nombre de bénéficiaires potentiels de cette allocation forfaitaire d’eau pourrait tout de même atteindre un million de ménages. Le dispositif prévu est très semblable à celui du chèque énergie mais n’est attribuée que dans la partie du territoire où l’eau est chère. De ce fait, le nombre de bénéficiaires potentiels est beaucoup plus faible que dans le cas de l’énergie.

Le financement des dépenses de solidarité pour l’eau estimé à 50 millions d’euros par an sera assuré par une petite redevance sur la consommation d’eau embouteillée qu’il faut concevoir comme une contribution solidaire (un demi centime d’Euro par litre d’eau). Bien que les consommateurs dans leur grande majorité soient prêts à verser cette petite allocation de solidarité, il faut noter qu’une minorité ne supporte pas l’idée d’alourdir le prix de l’eau embouteillée ne fut-ce que d’un demi-centime.

La proposition de loi comporte plusieurs dispositions pour s’assurer de la mise en œuvre effective du droit à l’eau et à l’assainissement. La Commission consultative sur les services publics locaux (CCSPL) sera informée des projets qui affectent de manière sensible le droit à l’eau et à l’assainissement. Les Maires de France devront évoquer dans leur rapport annuel pour l’eau (RPQS) les mesures prises pour améliorer la mise en œuvre de ce droit et organiseront au sein de leur conseil municipal un débat sur ce sujet dans le courant de chaque mandat électoral. Le Comité National de l’Eau (CNE) sera informé des mesures prises au plan local et soumettra au Parlement un rapport triennal sur le droit à l’eau et à l’assainissement.

Depuis quelques années, l’Assemblée nationale a reçu d’autres propositions de loi pour la mise en œuvre du droit à l’eau. Comme l’a écrit récemment l’actuel Président du Comité National de l’Eau, le député Jean Launay, « la réalisation de ce droit de l’homme paraît primordiale ». Son prédécesseur, le député André Flajolet, était tellement persuadé de cette priorité qu’il avait lui-même déposé une proposition de loi à cette fin. En décembre 2010, la Ministre Nathalie Kosciusko-Morizet déclarait: « Nous sommes déterminés à ajouter un volet préventif au volet curatif » pour l’aide pour l’eau des plus démunis ». En 2011, le Sénat adoptait à l’unanimité un texte voisin de celui en débat actuellement. En 2013, la présente proposition de loi sur le droit à l’eau a été déposée par le député Jean Glavany et des députés appartenant à cinq groupes parlementaires (UDI, MRG, PS, PC, EELV). Nul doute que le texte actuellement en discussion sera encore amendé mais chacun pourra s’enorgueillir qu’un droit reconnu officiellement par la France en juillet 2010 aux Nations unies puisse devenir effectif en droit français.

Le chômage au sommet et l’opinion publique très favorable au droit à l’eau devraient encourager nos élus à écouter la voix des usagers et de la société civile pour soutenir la mise en œuvre du droit à l’eau. L’eau, c’est la vie; il faut la partager avec tous en faisant appel à la solidarité nécessaire à la dignité humaine. La France qui s’est engagée devant les Nations-Unies à mettre en œuvre le droit à l’eau a une occasion formidable de donner l’exemple en prouvant dans les faits que le droit à l’eau peut devenir une réalité pour tous en France et dans le monde.