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La marche nationale pour le droit à l’eau au Pérou

21.02.2012


Dans un contexte de «crise mondiale de l'eau", en Amérique latine, éclatent des centaines de conflits, de plus en plus aigus, autour de l’eau et de l’aménagement des écosystèmes aquatiques. C’est justement dans ce contexte global, qu’a eu lieu, au Pérou, la Grande Marche Nationale pour le Droit à l'Eau, convoquée à l’origine par la CONACAMI, c’est à dire, la Confédération Nationale des Communautés Touchées par les Exploitations Minières du Pérou. Ce fait reflète qu'elle est aujourd'hui l'épicentre de ce véritable bouleversement social du pays, avec plus de 200 conflits environnementaux: sans doute, le conflit social autour des mines d'or à ciel ouvert, basé sur l'utilisation du cyanure.

Après presque 20 années d’activité minière à ciel ouvert à Cajamarca, où la société Yanacocha (de la multinationale canadienne Newmont Gold Corporation) exploite le plus grand site en Amérique Latine (26.000 hectares), un nouveau projet connu sous le nom « Conga », a fait éclater l’indignation des paysans, des communautés indigènes et des citoyens de la région. Le projet menace la destruction de 4 lacs, avec plus de 65 hectares, des zones humides et des nappes phréatiques qui alimentent les rivières de la région. En novembre 2011, plusieurs milliers d’indigènes ont campé autours des lacs, pour les protéger, à plus de 4000 mètres d’altitude, et la grève générale a fini par paralyser toute la région de Cajamarca.

Pendant les deux dernières décades, Yanacocha a changé radicalement le paysage andin et l’hydrologie de la région. Retirer 600.000 tonnes de roches chaque jour, fait disparaître une montagne en quelques semaines. L’utilisation de 17 millions de mètres cubes d'eau par an signifie plus de deux fois ce que demande la ville de Cajamarca, avec 150.000 habitants, et presque le triple de ce que l’agriculture a besoin chaque année dans la région. Pour obtenir un gramme et demi d'or on doit faire sauter une tonne de roches. Ces matériaux sont étendus sur des énormes terrasses et arrosés avec du cyanure pour séparer l’or. Les eaux acides qui en résultent, chargées de métaux lourds, parmi d’autres produits toxiques, sont stockées dans d'immenses radeaux qui restent à jamais dans le territoire. Bien que ces radeaux sont imperméabilisés avec du plastique, le risque de filtration par rupture ou dégradation du plastique, de dépassement par les orages des barrages ou de collapse sismique, est sûr à court, moyen ou long terme.

L'activité de Yanacocha a touché ou détruit 800 sources, 100 points de collecte d’eau pour la consommation humaine et 20 canaux d’irrigation dans trois provinces. Les communautés dénoncent la disparition, non seulement de grands lacs qui étaient considérés sacrés dans leurs traditions, mais aussi du Río Grande, ainsi que des mortalités massives de poissons avec le résultat final de rivières mortes. On a enregistré 1.262 passifs environnementaux qui contaminent l'eau des collectivités, usée pour boire, pour l'irrigation et l'élevage, ce qui entraîne de graves conséquences pour la santé publique.

Avec les gouvernements précédents, les protestations des paysans et des citoyens ont été durement réprimées de la part, non seulement de la police nationale, mais surtout de la police privée, "Forza", créée à l'époque de la dictature Fujimori, mais qui continue à exister et agir. La communauté a longtemps dénoncé les menaces et les actions de gangs criminels, suivi des meurtres, jusqu’à présent, de Edmundo Becerra, Godofredo García Baca, Juan-Monténégro, Remberto Herrera, Melanio Garcia et Isidro Llanos, des leaders paysans des communautés de Piura et de Cajamarca ; tandis que d'autres vivent sous la menace, y compris le Père Marco Arana, le plus reconnu parmi les dirigeants de la région, qui a récemment subi une attaque qui lui a presque coûté la vie.

La Marche Nationale pour le Droit à l'Eau est parti de Cajamarca, le 1er février, avec 600 personnes, la plupart des paysans des communautés indigènes et a parcouru plus de 800 kilomètres pour arriver finalement à Lima, le 9 Février. Le principe de la non-violence a été garanti par les « Rondas Campesinas », une sorte de patrouilles paysannes traditionnelles avec une forte légitimité communautaire. Une croissante et émouvante solidarité parmi les gens, tout le long du chemin, et la confluence d’autres marches improvisées provenant de nombreux conflits dans tout le pays, ont mené à une entrée massive à Lima avec plus de 15.000 personnes.

Même si, en principe, la convocation partait de Cajamarca centrée sur le conflit de Conga, à la manifestation multicolore de Lima, on pouvait voir des représentations de tout le pays, des étudiants, les syndicats ouvriers, les ONGs …

Finalement,on pourrait dire que l’isolement de la grève générale à Cajamarca que le gouvernement avait tenté, en diabolisant la proteste sous l’accusation de violente et d’être connectée avec le terrorisme de Sendero Luminoso, a échoué avec cette Marche Nationale.

La Mission d’Observation Internationale que la Fondation France Libertés a lancé, avec le support finalement d’une bonne quarantaine d’organisations et de personnalités de 14 pays, a été très bien accueillie par les organisateurs de la Marche, qui on vu renforcé leurs efforts pour garantir le principe de non violence á travers la visibilité internationale. Par ailleurs, le nouveau gouvernement a montré une attitude impeccable, tout le long de la Marche, en respectant le droit démocratique de manifestation.

Pedro Arrojo – Coordinateur de la Mission d’Observation Internationale
BLOG de la Mission Internationale d’Observation qui suit la Marche au Pérou.

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