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La justice chilienne ordonne la démolition du plus grand réservoir minier d’Amérique Latine

29.04.2015


L’ordre de démolition du réservoir d’El Mauro, le troisième plus grand réservoir de déchets miniers au monde, est tombé comme une bombe le 6 mars dernier au Chili. La lutte des habitants de Caimanes, commune de 1600 habitants de la province du Choapa était encore peu connue au Chili il y a deux mois. Depuis 14 ans, les habitants s’opposent à l’installation puis au fonctionnement d’un méga-réservoir de déchets miniers, installé à quelques kilomètres en amont de leur village à la naissance des ressources en eau alimentant la vallée. L’ordre de démolition du réservoir établit par le Tribunal  fait suite à la sentence de la Cour Suprême chilienne du 21 octobre 2014 qui avait donné un mois à l’entreprise Minera Los Pelambres, propriété de la multinationale Antofagasta Minerals, pour présenter un plan capable de « restituer le cours naturel de l’eau » à Caimanes. De manière explicite, le maximum Tribunal de la République du Chili reconnaissait par cette sentence que la construction du réservoir de déchets miniers avait eue pour effet d’assécher la rivière et les affluents en aval, ne laissant plus circuler qu’une  infime quantité d’eau, eau par ailleurs contaminée par les métaux lourds provenant du même réservoir. Le 6 mars, le plan présenté par l’entreprise est jugé insuffisant, principalement parce qu’il se limite à des ouvrages de canalisation des eaux superficielles omettant de considérer les eaux souterraines, piégées à l’intérieur du réservoir de déchets miniers, qui sont les principales ressources de la vallée dans un milieu naturel où  les pluies sont quasi inexistantes.

 

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Cette sentence sans précédent, parce qu’elle exige la restitution de la nature à son état initial  et qu’elle va jusqu’à ordonner la démolition d’une des plus grandes œuvres minières au Chili, a été reçu dans une formidable explosion de joie à Caimanes, qui y a vu le couronnement des années de luttes. L’enthousiasme s’est transmis un peu partout au Chili où ils/elles sont de plus en plus nombreux à s’insurger contre les abus des multinationales minières, principalement contre le vol de l’eau. La sentence a en revanche suscité de profondes inquiétudes chez les exécutifs de l’entreprise tout comme dans le gouvernement chilien. De manière assez inattendue, Minera Los Pelambres a annoncé que l’application de cette décision représenterait un grand dommage pour l’environnement comme pour Caimanes car… si le mur de contention était démoli, alors les déchets seraient déversés librement dans la vallée ! Loin de reconnaitre les dommages avérés par son action –80 % des ressources en eau ont été interrompu et le reste est contaminé-, jouant sur les mots en prétendant que l’ordre ne concerne que le mur de rétention des déchets et non l’intérieur, se réfugiant derrière l’approbation du permis environnemental donné par le gouvernement, Minera Los Pelambres  menace la citoyenneté entière de devoir assumer des conséquences de l’aberration de son projet dont la nocivité n’est reconnue qu’à l’aube d’une potentielle catastrophe… La question qui se pose est : où donc entreposer ces quelques 35 milliards de tonnes de déchets miniers ? Tandis que le gouvernement chilien manifeste qu’il serait bien difficile d’appliquer l’ordre de démolition car cela demandera un nouveau processus de recherche et d’approbation d’un autre site-poubelle,  Minera Los Pelambres brandit la menace de l’emploi, en appelle au « bon sens », au « futur du Chili » en tant que pays basé sur l’industrie minière, pour tenter d’annuler l’application de la sentence et de passer une fois de plus au-dessus des décisions de justice (1).

Si Minera Los Pelambres représente effectivement une source d’entrée importante pour la région -40 % des ressources économiques de la province y sont directement liées- et joue de la cooptation des autorités locales qui se sont par ailleurs habitués à ce que les services de la province et leur financement dépendent directement de la compagnie minière (éducation, formation, transport scolaire, emploi, santé, culture, financement de projets de tout type…), la présence de l’entreprise sur le territoire et sa crédibilité sont de plus en plus questionnées. L’image que se donne l’entreprise a de plus en plus de mal à masquer les violations aux droits, en particulier droit à l’eau, droit à une vie digne. Dans la province du Choapa, ce sont plus de 20 communautés qui s’enflamment fin février contre Minera Los Pelambres, accusée d’épuiser les ressources en eau de la région. Fait notable, la révolte des habitants du Choapa est soutenue par le Conseil Municipal de Salamanca, capitale de la Province, qui malgré sa dépendance aux fonds de l’entreprise, ose manifester sa réprobation des pratiques de l’entreprise et de l’usage des forces spéciales de police contre les manifestants.

Au niveau national, les récents conflits d’intérêt entre le groupe Luksic, propriétaire de Minera Los Pelambres et première fortune du pays, et le gouvernement ont mis en lumière le pouvoir des Luksic. Début février,  la presse révélait en effet que la Banque du Chili, propriété des Luksic, avait octroyé un prêt de 10 millions d’euros à la famille de la présidente au lendemain des élections présidentielles. L’affaire avait scandalisé l’opinion publique chilienne en mettant en crise la vision de l’équité face aux lois et fortement ébranlé le gouvernement de Bachelet.

Au lendemain de l’annonce de l’ordre de démolition du réservoir d’El Mauro, les actions de Antofagasta Minerals –groupe de Minera Los Pelambres– chutent de 5,5% à la bourse de Londres. Le conseil administratif d’Antofagasta Minerals en appelle alors au « réalisme » des Chiliens : sans El Mauro, c’est la fin de Minera Los Pelambres, principale entreprise chilienne du groupe Antofagasta Mineral (2) et ce serait là un très mauvais signal pour l’avenir des investissements miniers au Chili. Dans le même temps, l’entreprise exerce ouvertement un chantage à l’emploi : sans le réservoir de déchets du Mauro, Minera Los Pelambres, principale entreprise chilienne de Antofagasta Minerals, devrait fermer. Cette décision taxée d’insensé par les exécutifs de la compagnie mettrait en péril les inversions futures et l’avenir minier au Chili. Début mars, le Conseil Minier se réunit en ce sens avec le Ministère de l’Intérieur pour élaborer ensemble un plan de mise en œuvre visant à… lutter contre actions de mobilisation des communautés et faciliter le recours des forces de l’ordre en cas de blocage de route (3).

Comme d’autres luttes territoriales l’ont pu être ailleurs lorsqu’elle cristallise un moment de rupture, le combat de Caimanes est devenu un thème public questionnant le pays. Au Chili, de plus en plus de communautés réclament que leur droit l’eau soit respecté. La victoire juridique de Caimanes marque un précédent : légitimé par une sentence sans appel, la lutte des Caimanes ne peut définitivement plus être taxé d’illégale. Elle bénéficie d’un immense soutien populaire : des dizaines de milliers de personnes qui se manifestent sur les réseaux sociaux et des nombreuses communautés qui voit dans la victoire juridique de Caimanes un immense espoir pour qu’on cesse de faire passer en toute impunité le droit des entreprises sur celui des habitants, qu’on arrête d’assécher des vallées au nom de la productivité des mines et que le développement d’activités autre que celle liées à l’industrie minière puisse exister. Mais elle cristallise aussi le défi et/ou l’impasse d’un État de droit encore fragile au Chili et laisse des points d’interrogation quant à la force de l’État chilien à exiger à une puissance minière de faire marche arrière pour se plier à la sentence.    

Aujourd’hui à Caimanes, face au chantage de Minera Los Pelambres quant à une prétendue impossibilité d’accomplir la sentence, la communauté exige que l’eau lui soit dévolue en quantité et en qualité, comme l’ordonne la justice, et ceci coute que coute, même si cela doit signifier démantèlement du réservoir, l’eau doit être dévolue sans attente. La communauté demande aussi qu’en attente de l’exécution de la sentence, le fonctionnement du réservoir de déchets miniers soit paralysé (arrêt immédiat de l’accumulation des déchets) et que les quelques centaines de travailleurs de l’entreprise logé illégalement à Caimanes, partent (4). Malgré la contamination, les Caimanes ne sont pas prêts à abandonner leur territoire et nombreux sont ceux qui voudraient faire revivre leur vallée. A l’entreprise d’assumer les conséquences et se soumettre à la justice chilienne.  

 

Elif Karakartal
ALDEAH
Anthropologue, réalisatrice
Observatrice Internationale Cas Caimanes pour France Libertés-Fondation Danielle Mitterrand

 

 

(1) Le 4 juillet 2013, la Cour Suprême du Chili déclarait dangereux le réservoir de déchets miniers et ordonnait à l’entreprise la mise en place un plan d’évacuation en cas de catastrophe. Le 13 juillet 2013, la Superintendance de l’Environnement condamnait l’entreprise pour avoir violé ses propres obligations, définies à l’issu du permis d’Etudes environnemental. A ce jour, la compagnie n’a respecté aucune des sentences. 

(2) Minera Los Pelambres représente 60% de la production de la Multinationale Antofagasta Minerals et c’est la  quatrième opération minière du pays.

(3) Du 26 novembre au 8 février, durant 75 jours, la communauté de Caimanes a bloqué la route d’accès au réservoir de déchets. Le campement, organisé par la communauté, fut finalement délogé par ordre du Ministère de l’intérieur. 

(4) Selon la résolution environnementale autorisant le projet, l’entreprise ne peut installer son personnel dans le village.