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Intervention de Emmanuel Poilane à l’Assemblée Nationale sur la géopolitique de l’eau

30.03.2011

Géopolitique de l’eau     

Votre mission vise un champ de géopolitique large allant des conflits aux coopérations régionales avec en point de mire la dimension équipements et investissements.

Je sais que sur ce dernier point d’autres acteurs vous apporteront nombre de réponses très pertinentes et que concernant les conflits certains y répondrons mieux que moi. Je me focaliserais donc sur la notion de coopération entre les peuples.

L’eau est notre bien commun, l’eau est la vie.

En disant cela, je ne fais que partager le bon sens commun qui dans une vision philosophique raisonne comme une évidence. De l’enfant à la femme politique en passant par l’homme de la rue ou la chef d’entreprise, tout le monde le reconnait : l’eau c’est la vie.

Pourtant dans la mise en œuvre de l’accès à l’eau sur la planète, nous ne sommes pas capable de construire un pont entre le philosophique et l’économique ou si peu. Par manque de moyens, par manque d’ambition, par peur des contraintes et obligations que cela engendrerait, simplement par manque d’humanisme.

Les données sont assez simple : quelque soit le niveau local ou global, nous retrouvons ou manquons de trois acteurs : le maitre d’ouvrage  (l’état ou l’élu, la collectivité), le maitre d’œuvre (l’entreprise, le prestataire ou la régie), le bénéficiaire (peuples de tous les pays).

Cette relation à trois est souvent difficile à mettre en œuvre :

les états et les élus voient les risques qu’ils encourent et les contraintes qu’imposerait de reconnaitre et d’appliquer le droit d’accès à l’eau pour tous.

Les entreprises n’interviennent que si il y a une forme ou une autre de rentabilité, aider les pauvres, oui mais ceux qui peuvent payer.

Les citoyens sont souvent peu informés et subissent le système qu’on leur propose ou impose.  Chez nous un service performant leur fait parfois oublier la valeur essentielle de l’eau, nos enfants oublient la place de l’eau dans la construction de nos cités. Au sud du monde, les enfants marchent parfois 6 kilomètres par jour pour accéder à l’eau de survie sans se construire de lendemain.

Lorsque l’on sait que la plupart des pays africains compte dans leur population 70% de jeunes de moins de trente ans, on imagine les bombes à retardement qui ne manqueront de nous montrer le monde sous un nouveau jour.

J’ai moi-même vécu durant plus de 17 années en Afrique dans 5 pays dont la Guinée Conakry. Ce pays est l’exemple même de la difficulté autour de l’accès à l’eau. Il est le château d’eau de l’Afrique avec 5 fleuves majeurs qui prennent leur source dans le Fouta Djalon avec notamment les Fleuves Niger, Sénégal et Gambie. Pourtant, l’accès à l’eau y est très difficile pour des raisons logistiques dans les grandes villes et de difficultés d’extraction notamment pour le Fouta Djalon.

Le travail à faire en Guinée aujourd’hui est complexe et lourd. Le nouveau président, Alpha Condé, a promis de remettre l’accès à l’eau à Conakry dans les 6 mois car il sait que c’est une priorité pour son peuple. Il serait très intéressant de pouvoir travailler avec lui pour faire qu’enfin la Guinée s’engage dans une gestion de la ressource en eau qui lui permette à la fois de s’enorgueillir de son statut de château d’eau et en même temps de pouvoir valoriser en eau et en énergie son formidable potentiel.

La France a très probablement un rôle à jouer dans cette zone de l’Afrique de l’Ouest ou la réalité ivoirienne fait peser un risque lourd sur les pays environnant.

Pour une meilleure relation entre les peuples, nous pensons que la dimension citoyenne doit être renforcée autour et pour notre bien commun.

Si pour nombre de problématiques, les états et les entreprises sont les mieux à même de répondre aux questions de géopolitique, l’eau est comme souvent une exception. En effet, comme l’Etat et le secteur privé,  la société civile est en mesure d’aider à l’accès à l’eau des plus pauvres d’entre nous.

L’eau a cette force d’unir les peuples au travers d’innombrables projets. Qui d’entre vous ne connais pas une petite association, une collectivité, un jumelage qui aide à l’accès à l’eau au sud du monde ? Ce sont mille et un projets qui aident chacun en son endroit pour que la situation s’améliore mais malheureusement pas assez rapidement.

Il y a encore quelques années, l’aide au développement permettait à bon nombre de ces acteurs de la société civile de bénéficier d’appuis financiers pour la mise en œuvre de leurs actions. Malheureusement, les choix faits en matière d’aide au développement privilégient aujourd’hui une approche multilatérale si possible pour des projets de grande ampleur afin d’avoir de la rentabilité et du décaissement.

Cette réalité met en difficultés les acteurs associatifs qui proposaient des solutions dans les zones les plus enclavées ou n’interviennent ni les états, ni les entreprises privées. Ils apportaient en plus du lien entre nos sociétés et celles du sud, de peuple à peuple. L’eau fait le lien. Lorsque vous financez un projet de forage et avez la chance de voir la joie sur les visages des villageois lorsque l’eau jaillit, jamais vous ne pouvez l’oublier. Le lien à construire entre nos sociétés est essentiel pour sortir de la politique de la peur et l’eau doit y contribuer.

C’est dans ce sens que nous devons penser la géopolitique de l’eau dans la diversification des aides et des liens.

Nous devons construire un champ diplomatique large qui permette une étude macro sociologique de l’accès à l’eau.

Lorsque la France engage une politique de coopération avec un pays ami, elle doit :

  • réfléchir le renforcement des compétences de l’Etat ami dans le secteur de l’eau,
  • proposer de l’aide technique de haut vol pour les problématiques urbaines en lien avec les acteurs compétent pour le faire,
  • mettre en œuvre une aide ciblée vers les plus pauvres notamment en milieu rural pour apporter des solutions immédiates  et y réduire ainsi l’exode qui s’amplifie chaque jour un peu plus.


Par cette complémentarité d’aide, la France aidera l’ensemble des acteurs qui permettent d’œuvrer pour l’accès à l’eau. L’exemple du Sénégal a montré tout la pertinence de cette démarche chacun à son endroit.

La France peut beaucoup :

La France peut sensibiliser les pays amis pour qu’ils fassent de l’accès à l’eau une priorité.

La France peut sensibiliser ses entreprises multinationales pour qu’elles ne pensent pas seulement dans leur travail de lobbying à la rentabilité et leur clientèle. Elles sont évidemment sous pression des marchés et des réalités financières de notre système économique mais pour autant, elles pourraient plaider non pas seulement pour elles mais aussi pour le bien commun. Elles ne le font pas ou si peu en trompe l’œil.

La France peut aider les acteurs de la société civile qui mènent des projets d’accès à l’eau dans les endroits du monde ou les états sont défaillants et les entreprises absentes. L’appui de micro projets d’accès à l’eau tisse des liens entres des personnes de cultures différentes et permet ainsi de relativiser nos différences devant la ressource de vie.

Marseille accueillera en mars 2012 le 6ème Forum Mondial de l’Eau accompagné du FAME.

Que ferons-nous de ces évènements ?

Nous pensons qu’il faut profiter de cette fenêtre médiatique formidable sur l’eau pour mieux faire connaitre en France les réalités de l’accès à l’eau sur la planète et engager  tous les acteurs de l’eau à aider le milliard de personnes qui aujourd’hui n’a pas accès à la ressource de vie.

Des solutions sont envisageables pour peu que nous nous en donnions les moyens.

Une solution micro serait de déjà de mieux communiquer sur la loi Oudin en France afin que l’ensemble des collectivités puissent participer à l’effort de coopération internationale sur l’eau. A ce jour moins de 30% y contribuent.

Une solution macro serait de montrer l’exemple et d’offrir une place plus grande à la société civile dans le concert de l’eau qui reste extrêmement technique et urbain. La liste des personnes auditionnées en est une illustration mais pas une critique, c’est la réalité moderne.

C’est pourquoi nous organisons le FAME.

La société civile n’occupe sur le Forum Officiel qu’un strapontin. Il n’est pas possible de laisser sur la touche tous les « petits » acteurs de l’eau qui constituent le ferment du rapprochement des peuples.

Nous espérons voir venir le jour ou les acteurs de la société civile seront entendus dans ce qu’ils sont même si ils sont ressentis comme utopistes et peu crédibles car nos sociétés se déconstruisent à grande vitesse et seul le rapprochement entre les peuples pourra nous éviter un avenir sombre.

La multiplicité du monde des ONG et des militants offre un regard certes déroutant mais plein d’enthousiasme et de volonté que l’organisation bien huilée de notre société semble vouloir étouffer jour après jour.

Montrons que pour l’accès à l’eau dans le monde, la France veut jouer un rôle non pas de positionnement géostratégique autour des futures guerres de l’eau mais bien de la construction d’un monde meilleur ou le partage de l’eau serait une ambition universelle. Ce peut être une possibilité unique de redorer le blason du pays des droits de l’Homme en œuvrant comme le fait la Bolivie avec succès pour le droit d’accès à l’eau pour tous.