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FSM de Dakar : reportage sur la décharge de Mbeubeuss

18.02.2011

Les travailleurs populaires de la décharge de Mbeubeuss :

La décharge de Mbeubeuss existe depuis les années 70. Elle est située loin du centre de la ville, sur un lac asséché et s’étale sur 170 ha. Toutes les ordures de Dakar et des alentours y sont déposés ; soit environ 5000 tonnes de déchets par jour (plastique, fer, alimentaire, carton, D3E…)

dsc_7702.jpgSur les 1500 récupérateurs et recycleurs, environ 800 sont organisés en association, en partie grâce aux différents partenaires associés au projet, dont une entité d’Enda et son président monsieur Diallo. L’association des récupérateurs Bokk Diom a notamment favorisé la scolarisation et l’orientation des enfants de Mbeubeuss vers des formations qualifiantes (financées par l’Unicef), dans les secteurs de la menuiserie, de la mécanique et de la broderie et a permis l’essor d’un centre de santé, délivrant des soins vitaux face aux ravages du paludisme et aux problèmes récurrents des maladies respiratoires.

dsc_7723.jpgCes conséquences sont, bien entendu, liées aux conditions sanitaires alarmantes de la décharge, qui est aussi et de fait, une « véritable bombe écologique ».

Depuis quelques temps, des rumeurs circulent à propos de la fermeture de la décharge de Mbeubeuss. D’un point de vue  environnemental, cela pourrait être une bonne chose, si tant est qu’aucune autre décharge non contrôlée ne voit le jour… On peut malgré tout, s’interroger sur les intentions de l’Etat et des pouvoirs publics à l’origine de cette décision et sur ce qu’il adviendra des 1500 personnes vivant et travaillant sur la décharge de Mbeubeuss.

dsc_7717.jpgA priori, 300 devraient poursuivre leur activité dans un centre de tri et les autres auraient la possibilité de choisir une reconversion. Reste à savoir ce qu’il adviendra des 700 personnes n’adhérant pas à l’association… Mystère que nous avons eu du mal a élucidé sur le terrain…

 

Augmentation des D3E :

La prolifération des D3E dans les pays du Sud devient de plus en plus problématique et les connaissances sont encore limitées en matière de e-déchets dans la plupart des pays africains. Face à l’accumulation de boutiques vendant frigos et portables, les associations locales constatent avec inquiétude, une absence d’infrastructures pouvant gérer ces nouveaux déchets, comportant des risques de contaminations, tant pour la santé humaine que pour l’environnement (plomb, mercure, cadmium, chrome VI…)

dsc_7718.jpgCe qui est encore plus problématique c’est que l’augmentation des D3E dans les pays du Sud est largement alimentée par les pays du Nord. Ainsi, 20 à 50 millions de tonnes de déchets, types D3E, produits par l’Union Européenne, sont envoyés en Afrique. La solidarité envers les pays en développement est à double tranchant et les bonnes intentions ne favorisent pas forcément un meilleur accès à la connaissance mais crée bien davantage de nouveaux problèmes…

Devant la méconnaissance et l’absence d’infrastructures pour gérer ces nouveaux déchets, l’association Enda Europe a développé un programme « Solidarité Numérique Responsable » qu’elle est venue présenter à Dakar et qui a aboutit au montage d’une filière de réutilisation Nord-Sud et à la création d’une campagne de sensibilisation (voir le guide pratique pour des dons responsables et la BD sur le site d’Enda).

Toutefois, l’absence de juridiction au Sénégal et dans d’autres pays africains est un des problèmes majeurs, lié aux D3E… La Convention de Bâle, censée favoriser le contrôle des mouvements transfrontaliers, est souvent contournée. Il devient donc urgent de ratifier le « Basel Ban Amendment » et de renforcer les moyens de contrôles et sanctions.

L’idée d’appliquer la « Responsabilité Elargie des Producteurs » au Sud et de transférer 1% d’éco participation non utilisée en Europe en faveur des pays du Sud nous semble de bonnes initiatives. De la même façon qu’il serait intéressant de promouvoir davantage le réemploi en Europe. Enfin, il serait effectivement pertinent d’envisager la structuration du secteur informel.

 

Le business des déchets :

Ce qui est assez contradictoire, c’est que nos déchets riment avec argent pour de nombreuses entreprises, alors que les ramasseurs populaires, qui font le travail de collecte et de tri, ne gagnent presque rien. A Mbeubeuss, les gamins se jettent sur les camions, dès que ceux-ci entrent dans la décharge, pour piocher le meilleur butin et toujours au péril de leur vie, mais la récompense est bien maigre.

Le problème c’est qu’il n’existe pas un Mbeubeuss mais des centaines, sur notre planète : en Inde, au Sénégal, en Colombie… Et toujours, les intermédiaires profitent du labeur des ramasseurs, qui vivent et travaillent dans les décharges et donnent leur vie pour remuer les rebuts du quotidien, en attendant que leurs conditions soient meilleures et leur travail reconnu et valorisé.

En l’état actuel des choses, les ramasseurs de Mbeubeuss revendent aux entreprises leur collecte et reçoivent environ 0,11 euros par kilo. La décharge vit ainsi au rythme des acheteurs et vendeurs : les camions déversent les ordures, les ramasseurs s’échinent et les entreprises viennent s’approvisionner pour une bouchée de pain. Comme le souligne un membre d’Enda Colombie, « un haut fonctionnaire public disait il y a peu de temps encore que le recyclage est devenu plus rentable aujourd’hui que le narcotrafic ».

 

Sortir du dualisme privé/public pour une gestion sociale des déchets :

Un atelier auquel nous avons participé s’intitulait « Gestion communautaire des biens publics ». Il nous a permis d’appuyer une intuition que nous avions déjà : il faut parfois sortir d’un choix dualiste entre privatisation et publicisation concernant la gestion des « choses publiques ». Dans les deux cas, ces modes de gestion peuvent accentuer la domination et l’exploitation des ramasseurs populaires.

Dans les grandes villes, les déchets deviennent ainsi tellement rentables, financièrement parlant, qu’on exclut peu à peu les populations vivant de ce travail, en développant une compétition malsaine entre les entreprises publiques et les recycleurs populaires. C’était le cas en Colombie. Un mouvement de lutte contre les politiques publics et le modèle privé a ainsi émergé afin d’avancer vers un modèle de gestion « dans les mains des recycleurs », favorisant une autre forme de citoyenneté, donnant du pouvoir au peuple et alimentant la construction d’une réelle démocratie.

Une recycleuse colombienne de l’Association Nationale des Recycleurs était présente et nous a fait part de son expérience. C’est après la vente des corps de plusieurs ramasseurs aux universités colombiennes que les recycleurs se sont révoltés pour exiger des droits (droit à la vie, droit au travail…) et la reconnaissance de leur activité, notamment en réclamant de ne plus être payé seulement au poids mais en percevant également un salaire minimum. La loi 511 reconnaît désormais leur activité comme un travail à part entière et les recycleurs portent aujourd’hui des uniformes (un signe de distinction très important).

On a constaté encore une fois que le soutien d’une entité Enda avait permis aux ramasseurs de défendre leurs droits et de renforcer leurs capacités. Et notre recycleuse de conclure que « la formalisation du travail des recycleurs peut améliorer leurs conditions de vie » et que « les recycleurs sont des conservateurs de Vie parce que recycler c’est la Vie ! »


Limites et enjeux au Sénégal :

Les ramasseurs de Mbeubeuss, souvent venus de divers pays alentours et maniant avec difficulté le français et le wolof, n’ont trouvé que le travail à la décharge pour vivre honnêtement. Rares sont ceux qui ont une conscience politique exacerbée. De plus, le manque de volonté politique des décideurs à développer la gestion communautaire des déchets et renforcer les capacités d’organisation de ces recycleurs, est peu encourageant.

 Mais l’exemple latino-américain nous pousse à croire que le travail des associations, ONG et Fondations, peut favorisé l’engagement et la conscience politique des ramasseurs et recycleurs africains et qu’ « un autre monde est possible », aussi pour les plus marginalisés