Échec de la négociation entre Minera Los Pelambres et la communauté de Caimanes (Chili)
23.02.2016
Le 8 décembre dernier, 41 % des habitants de la communauté de Caimanes se sont abstenus lors du vote de plébiscite portant sur l’approbation ou le refus des propositions de l’entreprise Minera Los Pelambres (MLP) destinées à « mettre fin au conflit entre MLP et la communauté » au sujet du réservoir El Mauro (troisième plus grand réservoir de déchets miniers au monde) et à « appliquer – par la voie d’un accord amiable – la sentence de restitution des eaux » à laquelle l’entreprise avait été condamnée par la Justice chilienne en octobre 2014 .
La règle du plébiscite avait été définie en assemblée organisée dans le cadre du processus de dialogue qui devait permettre de trouver des solutions au conflit entre l’entreprise et la communauté . Les termes dudit processus de dialogue, présenté comme participatif et inclusif, proposaient que les habitants eux-mêmes définissent leur souhait en matière de restitution de l’eau et de sécurité pour pallier aux impacts générés par l’intervention de MLP sur leur territoire. Les négociations se sont déroulées sous forme d’une série de réunions, ouvertes à tous les habitants, organisées par MLP et les avocats de la communauté sous la vigilance de l’ONG Chile Transparent.
Crédit : Caimanes Resiste
Bien que, dès le départ, le processus soit apparu comme fortement dirigé par MLP , une grande partie de la communauté – guidée par ses avocats et soucieuse de trouver des solutions à un conflit qui s’enlisait – avait accepté de participer. C’est dans le cadre de ces réunions que furent validées les règles du plébiscite : il fallait au minimum 70 % de participation pour que le processus soit valide. Or ce pourcentage n’a pas été atteint.
Les raisons de cette abstention s’expliquent d’abord par le fait que, contrairement à l’annonce initiale indiquant que les termes de l’accord émaneraient de la volonté des assemblées, le document final d’accord, présenté par MLP, imposait la vision de l’entreprise. Les propositions de la multinationale ont été ressenties comme peu sérieuses et indignes par la communauté, tant par ceux qui luttent historiquement contre cet accord[4], que par ceux qui avaient accepté de jouer le jeu en participant aux réunions organisées par MLP.
Sur le sujet de la restitution « du cours naturel de l’eau », l’entreprise propose de restituer l’eau en creusant de nouveaux puits, alors que les habitants proposaient – ainsi que le demande la sentence de justice[5] – que l’eau rendue provienne de la cordillère. Selon les habitants, l’écoulement « naturel » pourrait être recréé en acheminant l’eau, par un aqueduc, depuis des sources non contaminées de la cordillère. Or, MLP se contente de proposer d’extraire l’eau de nappes souterraines qui sont et/ou seront, à terme, contaminées par ses opérations.
Crédit : Caimanes Resiste
Concernant la sécurité des habitants, les mesures phares annoncées au commencement – et qui prévoyaient de déplacer les parties basses du village vers des zones plus sûres – ont été remplacées, dans les propositions finales de MLP, par la construction de murs de gabions censés protéger les zones à risques (comme c’est le cas de l’école du village !) lors d’une catastrophe.
Crédit photo : flickr/cc/Rogério Alves/TV Senado
Après la tragédie du double effondrement, le 5 novembre dernier, des réservoirs de déchets miniers de la mine Samarco au Brésil[6] – propriété des entreprises Vale et BHP Billington, entreprises minières mondiales leaders en la matière prétendant, elles aussi, privilégier la sécurité dans leurs opérations – il est désormais difficile de faire croire qu’une catastrophe est impossible. À Caimanes, la rupture du mur de contention du réservoir de déchets miniers entraînerait, tout comme au Brésil, un désastre sans mesure. Le réservoir de Fundao au Brésil était dix fois plus petit que le réservoir El Mauro du Chili, il était situé trois fois plus loin du village de Bento Rodrigues que ne l’est El Mauro de Caimanes et dans une zone géographique bien moins étroite que celle de la vallée du fleuve Pupio au Chili. Si, au Brésil, le petit village de Bento Rodrigues (620 habitants) a pratiquement complètement disparu et si les boues toxiques ont contaminé des milliers d’hectares jusqu’à l’Océan, un effondrement au Chili, auraient des conséquences bien pires encore, conduisant les boues toxiques directement vers la Côte Pacifique, après avoir enseveli Caimanes.
Crédit photo : Patricio Bustamante
1. Comparaison entre la taille du réservoir de Fundao au Bréil et celui du Mauro au Chili
Crédit photo : Patricio Bustamante [7]
2. Simulation de trajectoire d’impact en cas d’effondrement du mur de contention du réservoir de déchet minier d’El Mauro (Patricio Bustamante)
À Caimanes, la solution de « protéger » la trajectoire des déchets en cas de catastrophe, bien loin de rassurer, apparaît comme une vaste farce, d’autant que, depuis le début des négociations, les avocats qui défendaient la communauté avaient annoncé comme mesure prioritaire le déplacement des parties basses du village. Aujourd’hui, il serait seulement question d’envisager dans le futur d’étudier cette possibilité, mais rien de concret n’est prévu dans l’accord actuel. Or, dans la mesure où MLP n’a pas concrétisé ses précédents engagements auprès de la communauté, l’entreprise ne bénéficie plus de crédibilité pour ses promesses.
L’autre point fondamental de désaccord concerne les sommes d’argent promises par MLP. Les propositions économiques sont insuffisantes aux yeux des habitants, compte tenu des dommages subis et parce que les montants offerts ne leur permettent pas de reconstruire, ailleurs, une vie digne. La dernière offre de MLP fixait le montant de compensation financière[8] à environ 28 millions de pesos par famille (37.000 euros). Ce montant ne permet pas, au Chili, d’acquérir terres et maison et donc de vivre dans les conditions dont les habitants ont été privés par l’intervention de MLP. Par ailleurs, l’ampleur des impacts sur le territoire n’est pas à envisager uniquement au présent, mais aussi au futur, car l’entreprise n’a pas caché ce qu’elle cherchait au travers de cet accord : préparer le terrain pour son expansion et agrandir le réservoir de déchets[9].
Si le réservoir a, d’ores et déjà, été décrété comme dangereux par la Justice en juillet 2013 et son effondrement déclaré probable par nombres de spécialistes du domaine ; doubler sa capacité représente un danger plus grand encore et la féérie des chiffres proposés ne peut masquer la mort et la dévastation qui sont en jeu.
En définitive, après 4 mois de « dialogue » à Caimanes, la tentative d’« harmonisation »[10] des intérêts de la multinationale minière avec ceux de la communauté a échoué. Plutôt que d’aller vers une résolution des problèmes – ce qui intéresse réellement la communauté – il apparaît que l’objectif de MLP était d’en finir avec la sentence de restitution de l’eau et le procès en cours sur le péril en cas de séisme[11] afin de préparer sa nouvelle expansion.
Crédit : Caimanes Resiste
Or, derrière la valse des chiffres, l’argument de « si nous nous agrandissons, nous serons tous gagnants » semble pour l’heure en échec à Caimanes. La communauté est consciente que le prix de cet accord serait d’accepter l’augmentation des risques au lieu de résoudre les problèmes de fond, de la condamner à plus ou moins long terme, et de soumettre les vies des habitants au bon vouloir de MLP dans le futur[12].
Dénonçant l’absence de solutions réelles, le Comité de Défense de Caimanes a organisé une contre-campagne du plébiscite, conseillant de s’abstenir et dénonçant l’appât du gain qui aurait pour effet de condamner la vie de la vallée. L’abstention s’est donc exprimée en ce jour comme l’expression d’un droit de refus, pensant qu’elle serait comptabilisée comme telle dans les résultats de vote.
Pourtant, aujourd’hui, MLP refus d’accepter la décision de la communauté. Malgré la présence d’un notaire ayant validé les votes, les panneaux d’affichage du bureau de l’entreprise, habituellement couverts d’informations, restent encore vides. MLP continue de vanter auprès des médias sa volonté de poursuivre ledit « processus de dialogue »[13]. Pour leur part, les ex-avocats[14] de la communauté tentent à tout prix d’imposer l’accord et organisent des réunions privées dans le but de faire valider, malgré tout, les négociations avec MLP[15]. Ainsi, malgré l’échec des négociations par la voie du vote, à ce jour tout reste incertain.
Il va sans dire que l’échec des négociations à Caimanes constitue un grave revers pour MLP et montre les limites de cette prétention du tout gagnant que les lobbies miniers sont en train de promouvoir au Chili sous les auspices de l’État. Ricardo Lagos, ex-président de la République, a proposé une nouvelle manière d’opérer pour le secteur minier au Chili définie comme inclusive. Celle-ci devrait permettre de « mettre fin aux conflits territoriaux, en faisant participer les communautés aux projets miniers par le biais du dialogue »[16]. L’impératif, pour le secteur minier et l’État, est d’éviter la judiciarisation des projets miniers[17]. Mais cette conception d’inclusion repose uniquement sur des critères économiques ; elle est basée sur le constat que les conflits retardent les projets, ce qui coûte cher aux entreprises. Elle ignore les causes réelles des conflits, tout comme les visions potentiellement différentes des acteurs territoriaux qui n’ont pas choisi de coexister avec les projets miniers. Les conflits y sont réduits à de simples différents, qui pourraient être résolus par la participation aux intérêts des entreprises ; cela revient donc à fixer simplement un tarif aux conflits, puisque « tout est négociable »[18]. L’expression par le vote à Caimanes a montré que les choses ne sont pas aussi simples.[19]
Crédit : Caimanes Resiste
Il n’en reste pas moins que cette nouvelle pratique d’arrangement à l’amiable, fortement cautionnée par l’État chilien, interpelle quant à la valeur du droit, de la justice et des institutions démocratiques qui, dans le Chili d’aujourd’hui, sont des symboles auxquels l’opinion publique tient. Si, légalement, il est possible de parvenir à des accords privés mine/communauté, quand bien même des sentences judiciaires auraient été rendues, s’il suffit aux investisseurs d’obtenir un accord financier démocratique avec un territoire pour mener un projet, quand bien même il aurait été invalidé par les institutions, quelles valeurs accorder alors aux institutions ?
L’importance de ce qui se joue à Caimanes est donc de taille, non seulement pour ce village, mais pour le pays tout entier. À Caimanes, aujourd’hui, l’espoir des habitants qui résistent réside toujours dans le pouvoir judiciaire qui a su prononcer une sentence sans précédent : rendre la nature à son état initial. Mais l’application de cette sentence de retour des eaux peine à se concrétiser et le pouvoir judiciaire semble favorable à une solution à l’amiable[20]. Si les propositions de MLP avaient été acceptées, cela aurait été validé par la Justice. Le rejet de l’accord proposé par la multinationale a modifié la donne, mais il est à craindre que ce ne soit que partie remise. Le désir d’expansion de MLP peut s’imposer malgré tout auprès d’une majorité d’habitants et acquérir force de droit. Ailleurs dans le pays, les répercussions du cas Caimanes dans quelques articles[21] – relayés massivement par les réseaux sociaux – montrent qu’au-delà du local, l’affaire inquiète. D’une part, le désastre possible aurait des conséquences dramatiques et irrémédiables qui dépasseraient de loin les frontières du territoire ; d’autre part, si, moyennant un arrangement local, il est possible de s’acheter une sentence d’un Tribunal de la République, alors quelle crédibilité donner à la Justice d’un État ? Si MLP réussit à imposer son point de vue dans la négociation, cela entraînera une immense perte de crédibilité pour la Justice chilienne…
Crédit photo : "Caimanes Résiste" pour toutes les photos et affiches, Patricio Bustamante pour les deux graphiques
[1]
[2]
[3] Le processus était financé par MLP, son contenu et sa forme entièrement conçus par celle-ci, et les réunions se déroulaient sous la vigilance d’une ONG recevant des financements de l’entreprise, sans que par ailleurs aucun représentant de l’État ni aucun autre acteur indépendant n’aient été invités à participer.
[4] Une grande partie des membres du Comité de Défense de Caimanes avait préféré se tenir en marge du processus, affirmant que les sentences de justice ne pouvaient faire partie d’un accord de négociation avec MLP.
[5] Le 21 octobre 2014, la Cour Suprême du Chili ordonnait « la restitution du cours naturel du fleuve Pupio, libre de contamination du réservoir de déchet d’El Mauro»
[6] La coulée de boue a enseveli le village de Bento Rodrigues, causé au moins 11 morts, 15 disparus et plus de 50 blessés, elle prive 250 000 à 500 000 personnes d’eau potable et s’est jetée dans l’océan après avoir pollué, et sans doute tué, le fleuve Rio Doce sur plus de 650km.
https://www.reporterre.net/Le-Bresil-frappe-par-la-pire-catastrophe-ecologique-de-son-histoire
https://www.reporterre.net/Catastrophe-ecologique-au-Bresil-le-littoral-frappe-par-la-coulee-de-boue
[7] Graphiques de Patricio Bustamante
[8] MLP refuse de parler « d’indemnisation » qui équivaudrait à reconnaitre les dommages causés et devrait, le cas échéant, faire l’objet d’un autre procès, mais accepte de parler de « compensation financière ».
[9] MLP a annoncé sa volonté d’augmenter la taille du mur de contention de 63 mètres, ce qui équivaudrait en définitive à doubler le volume disponible pour le stockage des déchets.
[10] C’est ainsi que MLP tentait de définir le processus, dans la volée de la nouvelle philosophie minière, porteuse de valeurs de vertue, d’inclusion, de soutenabilité en vogue aujourd’hui au Chili (www.valorminero.cl)
[11] Outre le procès gagné concernant la restitution de l’eau(« Obra Nueva »), la communauté attend une autre sentence de la Cour Suprème concernant la dangerosité du réservoir (« Obra Ruinosa»).
[12] Outre les sommes d’argent offertes directement aux familles, MLP promet, en échange de son expansion, des millions de dollars pour des projets communautaires, incluant des fonds pour la santé, l’éducation, le soutien aux projets productifs etc. pendant dix ans. L’entreprise aurait alors une emprise accrue sur le territoire dans tous les domaines, tandis que les services et aides publics tendraient à disparaitre.
[13] https://diarioeldia.cl/articulo/economia/vamos-persistir-esta-manera-dialogar-comunidad-caimanes%E2%80%9D
;
[14] Une grande partie des habitants ne reconnaissent plus ces avocats comme leurs défenseurs et ont engagé un nouvel avocat pour les défendre.
[15] Voir « Caimanes/MLP : una eleccion invalida » y « Por la razon o por la fuerza ». Les avocats menacent les habitants d’être exclus de toute éventuelle compensation en cas de refus. Ceux qui s’opposent sont expulsés des réunions.