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Discours de Danielle Mitterrand / CI ETHOS 13 mai 2010

20.05.2010

Mesdames et messieurs, bonjour,


Je suis très honorée par votre invitation à exprimer devant vous les quelques réflexions nourries au fil des témoignages reçus et des expériences que j’ai partagées.

Depuis quelques années nous remarquons qu’une certaine conscience humaine semble enfin manifester sa volonté de mettre un terme à la folie de la démesure dont l’espèce humaine semble atteinte, en faisant le constat que tout ne va pas si bien dans ce monde. La politique de croissance sans limite, de développement et de richesse accumulée par une minorité qui ne redistribue pas le fruit du travail de tous, répond-elle à la quête du bonheur de vivre?
©Joëlle Dollé

A l’écoute enfin des doléances des victimes de cette politique expansionniste et des grondements de la terre qui ne peut plus subvenir aux nécessités de la vie, un souffle de raison se lève et un groupe d’hommes et de femmes se mettent en demeure d’écrire une charte de la terre. Faisons une pause et réfléchissons ensemble.

Le préambule de cette charte nous situe à un moment déterminant de l’histoire de la Terre, annonciateur d’un futur très inquiétant mais aussi très prometteur, d’une nouvelle société que nous devons préparer. Pour ce futur, la reconnaissance de l’interdépendance de toutes les formes de vie en maintiendra le fragile équilibre, que l’Humanité ne pourra se permettre de rompre. Nous devons reconnaître qu’au milieu d’une grande diversité de cultures et de formes de vie nous formons une communauté humaine spécifique partageant une destinée commune.

Pour y voir plus clair, au constat de l’état des lieux, que plus personne ne conteste, – sommes-nous prêts à reconnaître nos erreurs et à repenser la politique humaine dans son environnement ?

–     Considérant que depuis au moins deux siècles et surtout avec l’évolution rapide de l’industrialisation au siècle dernier, ma génération a cru a ce qu’on appelle encore aujourd’hui le développement. En sortant de deux grandes guerres mondiales nous avons conduit nos enfants à penser que seul l’argent et les biens matériels sont source de richesses, de puissance et de bonheur…
–     Et admettant que, selon la charte, « La Terre, notre foyer, est elle-même vivante et abrite une communauté unique d’êtres vivants », Sommes nous prêts à reconsidérer la notion de richesse et de développement ?
Sommes-nous prêts à enseigner et à pratiquer le respect des biens communs du vivant, éléments constitutifs de la vie ? Sommes nous prêts à admettre que ces biens communs du vivant ne sont pas des marchandises, pas plus que de biens économiques? Mais quels sont donc ces biens communs dont nous parlons ?

Pour essayer de répondre à cette question, je vous propose une réflexion que je partage avec des hommes et des femmes concernés et soucieux de l’avenir d’une société actuellement en mal de vivre.

3. Reconnaissant que la limitation des ressources est une préoccupation commune aux peuples de la terre, sommes nous prêts à reconsidérer en premier lieu nos rapports avec les quatre éléments constitutifs de la vie ? L’eau, à l’origine de la vie non seulement pour l’homme mais pour tout le vivant et pour la terre elle-même. L’air, que nous ne commercialisons pas ( et encore ! ) mais que nous devons protéger de toute pollution sous le risque du dérèglement climatique.

– La Terre nourricière, à l’usage du vivant et de l’homme qui l’a divisée en parcelles dans un esprit de possession qui nous a amenés à l’exploiter à outrance.
– Le feu et le soleil, qui diffuse la chaleur et la lumière nécessaires à la photosynthèse et aux sources de notre énergie vitale.


Compte tenu de ces quatre éléments vitaux, il faut distinguer les biens communs de notre vie collective, qui nous construisent en société commune.
L’humain est une espèce qui vit en société et qui est fondamentalement concernée par l’autre.( Citation histoire de l’école MAPUCHE )

Apres avoir vécu le maquis, la résistance pendant la deuxième guerre mondiale, le destin m’a ouvert un cheminement parmi les grands de ce monde, côtoyant les décideurs.

J’étais à la Haye en 1948, avec François, Churchill, pour la construction de l’Europe unie. Mais à l’époque je rêvais d’une Europe des peuples, du respect de chacun dans leur diversité, allant à la rencontre des uns et des autres non pas dans un esprit de domination ni de concurrence, mais pour échanger et construire ensemble un monde de paix.

Il y a 5 jours, nous avons célébré le 8 mai, jour de la libération. Je me souviens encore des paroles de François, ce 8 mai 1995 pour le 50 ans de l’armistice dans son discours à Berlin : « Depuis mon enfance on nous a appris que les allemands étaient nos ennemis héréditaires. Ennemis, peut être, mais avant tout nos frères. »

Car nous, les résistants français nous ne faisions pas la guerre aux allemands mais au Nazisme ; Après la guerre, j’ai vu avec émerveillement l’arrivée intempestive de l’automobile, des machines, des grands immeubles, c’était le rêve de la croissance, les « trente glorieuses ». A l’époque, nous voulions aller toujours plus vite, encore plus loin, être « modernes », construire des grandes villes. Les fils de paysans, attirés par cette modernité, ont déserté les campagnes, abandonné leur culture, et peu à peu on a vu venir les limites de ce modèle.


Le déséquilibre social et la surexploitation de la nature se sont installés pour alimenter ces grandes villes voraces et énergivores, lumineuses jusqu'à éblouissement mais certainement écrasantes pour ceux qui subissent malgré eux cette illusion du bonheur matériel. J’ai en mémoire le discours de François à Mexico en 1981 sur la place des trois civilisations, dans lequel il salue « les peuples du monde les plus exploités et bâillonnés, mais qui veulent vivre et vivre libres… »

3- Changer de Monde

Ce que je veux vous dire aujourd’hui, c’est que nous sommes arrivés a un paroxysme. Nous nous sommes éloignés de la nature en restant sourds à ses messages, nos villes sont polluées, encombrées jusqu’à l’immobilisme et à l’étouffement, chacun dans sa petite boite roulant pour aller s’enfermer dans une alvéole de sa tour, le regard fixé sur les machines et les écrans.


Combien de fois, parcourant les capitales et les rues des mégapoles que je visitais avec François, j’avais l’impression d’être toujours dans une même ville, issue d’une pensée unique qui efface nos différences. Sommes-nous prêts à repenser l’organisation de notre société, notre façon de produire et de consommer ? Sommes-nous prêts à renoncer à l’exploitation de l’homme par l’homme et à l’épuisement inconsidéré des ressources naturelles ? Sommes nous prêts à sortir de la domination de l’argent tout puissant pour lui redonner sa mission d’outil d’échange et de mesure au service d’un projet de société humaine ?

A travers vous, hommes et femmes éclairés, acteurs de ce changement que nous voulons, je m’adresse aussi à tous les jeunes et les exclus de ce monde, qui dans leur fatalisme croient de moins en moins à une politique que ne les concerne plus.

Les jeunes d’aujourd’hui renient de plus en plus cette société injuste et privée de sens, dont ils se sentent exclus. La véritable crise de notre époque n’est-elle pas celle de la démocratie plutôt que cette crise économique et financière mise en avant tous les jours par les medias ? Pour nous c’est notre objectif le plus noble que de redonner l’espoir d’une démocratie effective, à l’écoute du citoyen prêt à exercer sa responsabilité.

Je vous ai parlé des excès de notre système et de la démesure qui nous affligent ; Je vous ai parlé aussi des biens communs qui sont le socle de cette vie commune à laquelle nous aspirons ; Maintenant nous devons chercher ensemble les chemins concrets pour arriver à cette qualité de vie commune que nous recherchons.

Epilogue

La Charte de La Terre commence en nous rappelant que nous vivons un moment crucial pour l’humanité. Pourquoi avons-nous pris conscience de la gravité de cette situation ? Sans doute parce que les avancées de la recherche et de la technologie nous permettent aujourd’hui d’être mieux informés et de communiquer d’un pôle à l’autre, d’un hémisphère à l’autre, au moment même des événements. Nous ne pouvons plus ignorer ce qui se passe ailleurs.

Notre génération a une grande responsabilité et se trouve dans la situation de ceux qui peuvent rester dans l’histoire comme coupables de non assistance à vie en danger. Nous-mêmes à France Libertés l’avons ressenti fortement lorsque nous avons commencé à travailler sur l’eau. Malgré le constat de son importance vitale pour l’humain et pour tout être vivant, l’eau reste encore considérée comme une ressource à exploiter, un bien économique, une marchandise comme les autres.

Les habitants de Sao Paulo savent bien que l’eau est un grave problème qu’il faut absolument résoudre. Pour l’avenir, des propositions s’instaurent, et nous avons le devoir de le faire entendre à nos gouvernants.

L’eau est aujourd’hui le symbole de ce virage : Nous devons savoir distinguer, dans une économie équilibrée au service de la vie, les biens matériels qui peuvent être commercialisés dans une logique de marché et les biens vitaux qui doivent rester sains, libres et accessibles à tous.

C’est pourquoi l’Ethique, valeur trop souvent oubliée et bafouée dans ce monde, doit nous guider aujourd’hui dans la construction de notre avenir. Je vous remercie de m’avoir permis d’aborder ce sujet avec vous et de l’attention que vous y avez portée.