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Discours de Danielle Mitterrand au Parlement européen

15.12.2010


 

Aujourd’hui, je suis particulièrement heureuse de vous voir nombreux vous atteler à travailler sur une autre approche de la politique de l’eau et imaginer une remise en cause de la marchandisation à tout va de cette richesse constitutive de la vie.

C’est en travaillant depuis 15 ans sur le statut naturel de l’eau avec de nombreuses organisations alertées par la précarisation de la vie humaine sur la planète que nous en sommes arrivés à proposer une politique fondée sur les biens communs du vivant.

 

Si vous accepter de nous entendre, c’est parce que comme tant d’autres vous avez pris conscience de la démesure dont l’espèce humaine semble atteinte en faisant le constat de l’inquiétude grandissante qui envahit les esprits.

 

Ce n’est pas à vous que j’apprendrai que La politique  de croissance sans limite visant à permettre à une minorité d’accumuler toujours plus de richesses, est de plus en plus prédatrice et que les promesses de redistributions du fruit du travail sont ressenties comme fallacieuses.

 

A l’écoute enfin des doléances des victimes de cette politique expansionniste et des grondements  de la terre qui ne peut plus répondre à notre modèle de société, un souffle de raison se lève et nombres de femmes et d’hommes se mettent en demeure de relever le défi pour construire une société pérenne, équilibrée et conforme aux exigences de la vie.

Vous ne pouvez nier que l’interdépendance de toutes les formes de vie maintiennent le fragile équilibre, pourtant mis à mal  par la boulimie de richesses et de pouvoir de l’Homme. Et vous admettez pourtant qu’au milieu d’une grande diversité de cultures et de formes de vie, nous formons une communauté humaine spécifique partageant une destinée commune.

Au constat de l’état des lieux que plus personne ne conteste, sommes-nous prêts à reconnaître nos erreurs et à mettre en œuvre la politique du bien commun, profondément humaniste et respectueuse de notre environnement ?

Depuis deux siècles avec l’évolution rapide de l’industrialisation, ma génération a cru à ce qu’on appelle encore aujourd’hui le développement et la modernité. En sortant de deux grandes guerres mondiales, nous avons conduit nos enfants à penser que seul l’argent et les biens matériels sont source de richesses, de puissance et de bonheur…

Apres avoir vécu le maquis, la résistance pendant la deuxième guerre mondiale, le destin m’a ouvert un chemin parmi les grands de ce monde, côtoyant les décideurs. 

J’étais à la Haye en 1948, avec François, Churchill, pour la construction de l’Europe unie.  Mais à l’époque, je rêvais d’une Europe des peuples, du respect de chacun dans leur diversité, allant à la rencontre des uns et des autres, non pas  dans  un esprit de domination ni de concurrence, mais pour échanger pour réparer les dégâts causés par la guerre et construire  ensemble un monde de paix. 

Après la guerre, j’ai vu avec émerveillement l’arrivée intempestive de l’automobile, des machines, des grands immeubles, c’était le rêve de la croissance, les « trente glorieuses ». A l’époque, nous voulions aller toujours plus vite, encore plus loin, être « modernes », construire des grandes villes. Les fils de paysans, attirés par cette modernité, ont déserté les campagnes, abandonné leur culture, et peu à peu, on a vu venir les limites de ce modèle. Le déséquilibre social et la surexploitation de la nature se sont installés pour alimenter ces grandes villes voraces et énergivores, lumineuses jusqu'à éblouissement mais certainement écrasantes pour ceux qui subissent malgré eux cette illusion du bonheur matériel.

Pour concrétiser pleinement ce vœu de prospérité, par les accords de Bretton Woods, nous avons ouvert la boite de Pandore. Je me rappelle encore aujourd’hui le petit déjeuner ou Jacques Attali  expliquait à François que seule la dette était salutaire alors qu’avec beaucoup de bon sens, François défendait que l’on ne dépensait pas cinq sous quand on en avait quatre, Attali lui répondant qu’il était rétrograde car aujourd’hui seule la dette permet d’être compétitif. 

Hélas, le système prévalant, François n’a pu lutter contre cette réalité internationale.

Seulement 30 années plus tard, le temps d’un souffle au regard de l’Humanité, la Grèce, l’Irlande et bientôt toute l’Europe en voient le résultat et tremblent.

Pour autant, sommes-nous prêt à reconnaître nos erreurs, à comprendre qu’en trente ans, nous nous sommes mis face au mur de l’argent qui détruit les valeurs de nos sociétés.  Sommes-nous prêt à changer de paradigme ?

 Sommes-nous prêts alors à pratiquer et à enseigner à nos enfants le respect des biens communs du vivant, éléments constitutifs de la vie ? 

Sommes-nous prêts à admettre que ces biens communs du vivant ne sont pas des marchandises, pas plus que des biens économiques?

Mais quelles sont donc ces biens communs dont nous parlons ? 

Reconnaissant que la limitation des ressources est une préoccupation commune aux peuples de la terre, sommes nous prêts à reconsidérer en premier lieu nos rapports avec les quatre éléments constitutifs de la vie ?

 L’eau, à l’origine de toute vie non seulement pour l’humanité mais pour tout le vivant. 

 L’air, que les plus développés d’entre nous commercialisent déjà et que nous devons protéger de toute pollution sous le risque de dérèglements climatiques toujours plus violents.

 La Terre nourricière, à l’usage du vivant, que les sociétés occidentales ont divisé en parcelles dans un esprit de propriété qui nous a amenés à l’exploiter à outrance.

 L’énergie du soleil, qui diffuse la chaleur et la lumière nécessaires à la photosynthèse et aux sources de notre énergie vitale.

Il nous faut distinguer ces biens communs, les « commons » comme disent nos amis anglo-saxons, des biens publics sociaux de notre vie collective. 

Si les biens publics sociaux que sont l’éducation, la santé, l’habitat et bien d’autres encore, participent à l’organisation de nos sociétés, seuls les biens communs, constitutif de la vie elle-même, devraient être les piliers politiques du bien vivre ensemble et non être considérés comme des marchandises.

Nous sommes arrivés à un paroxysme. Nous nous sommes éloignés de la nature en restant sourds à ses messages, nos villes sont polluées, encombrées jusqu’à l’immobilisme et à l’étouffement, chacun dans sa petite boite roulant  pour aller s’enfermer dans une alvéole de sa tour, le regard fixé sur les machines et les écrans.  Combien de fois, parcourant les capitales et les rues des mégapoles que je visitais avec François, j’avais l’impression d’être toujours dans une même ville, issue d’une pensée unique qui efface nos différences.

 Sommes-nous prêts à repenser l’organisation de notre société, notre façon de produire et de consommer ?

Sommes-nous prêts à renoncer à l’exploitation de l’homme par l’homme et à l’épuisement inconsidéré des ressources naturelles ?

 Sommes-nous prêts à sortir de la domination de l’argent tout puissant pour lui redonner sa mission d’outil d’échange et de mesure au service d’un projet de société humaniste ? 

A travers vous, femmes et hommes éclairés, acteurs de ce changement que nous voulons, je m’adresse aussi à tous les jeunes et les exclus de ce monde, qui dans leur fatalisme croient de moins en moins à la politique dont ils pensent qu’elle ne les concerne plus.  Nos enfants renient de plus en plus cette société injuste et privée de sens dont ils se sentent exclus. 

La véritable crise de notre époque n’est-elle pas celle de la démocratie plutôt que cette crise économique et financière mise en avant tous les jours par les medias ?  

Notre objectif le plus noble est de redonner espoir en une démocratie effective, à l’écoute du citoyen prêt à exercer sa responsabilité.  

Je vous ai parlé des excès de notre système et de la démesure qui nous affligent ; 

Je vous ai parlé aussi des biens communs qui sont le socle de la vie à laquelle nous aspirons ;

J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui reconnaissent que notre système est à bout de souffle et qui pour autant continuent de ne penser que par la loi du marché.

Nous nous devons de chercher ensemble les chemins concrets pour arriver à faire de l’ambition d’une société des biens communs, une réalité.