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Cochabamba, ou l’anti-Copenhague / Par Pauline Lavaud

23.04.2010


Quelques semaines après l’échec de la conférence de Copenhague, le Président bolivien, Evo Morales, lançait une invitation à tous les « les peuples, mouvements sociaux, scientifiques, chercheurs, juristes et gouvernements» à venir participer à Cochabamba a la Première « Conférence des Peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre mère ».

Ce sont, selon les chiffres officiels, plus de 35 000 personnes, dont 9 000 venant de 142 pays, qui ont répond à cet appel. Après quatre jours de conférences, ateliers, et activités auto-gérées, le sommet de Cochabamba s’est terminé par l’adoption d’un texte, « l’accord des peuples », et un avertissement lancé à l’ONU et aux pays développés.

La déclaration finale issue des travaux de la Conférence sera présentée dès la semaine prochaine au secrétariat de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, et soumis à l’ensemble des documents servant de base aux négociations officielles. Evo Morales a enjoint les pays industrialisés et les Nations Unies à « écouter et prendre en compte les demandes et les propositions issues de Cochabamba » : « si l’ONU ne veut pas perdre son autorité morale, elle doit appliquer les conclusions de la conférence », l’inverse pourrait conduire, selon lui, à « une véritable révolution sociale ».

La représentante de l’organisation des nations unies, chahutée par les participants lors de la cérémonie d’ouverture, a reconnu « le manque d’ouverture de l’organisation aux différents groupes sociaux, leaders indigènes et au public en général » ainsi que la nécessité « de nous ouvrir beaucoup plus pour écouter, dialoguer et travailler avec tous les secteurs des sociétés des pays ». Enfin, le gouvernement mexicain, à travers son représentant Luis Alfonso de Alba, a affirmé qu’il recevrait « à bras ouverts » les représentants des peuples indigènes et les mouvements sociaux qui viendront présenter les propositions de Cochabamba à la prochaine conférence des Nations Unies sur le changement climatique de Cancun.

L’accord des peuples se veut la synthèse des travaux des 17 groupes de travail, qui se sont penchés sur autant de sujets liés au changement climatique. Si un certain nombre de ces thèmes sont directement liés à l’agenda de l’ONU (la question des financements, de l’adaptation, des suites à donner au protocole de Kyoto…) l’une des originalités de cette conférence aura été d’élargir la réflexion (rédiger une déclaration des droits de la Terre mère, la prise en compte des solutions portées par les peuples indigènes, la recherche de l’« harmonie avec la nature »), et de proposer de nouveaux outils pour lutter contre le changement climatique et impliquer les peuples dans ce processus (l’instauration d’un tribunal de justice environnemental, l’organisation d’un referendum mondial…).

La déclaration finale souligne la responsabilité du système capitaliste dans la crise environnementale actuelle, du fait de sa recherche perpétuelle du « profit à tout prix » qui a conduit à « séparer l’homme de la nature, et à établir une logique de domination et de marchandisation de la nature ». Le texte souligne que seul un changement profond de modèle, basé sur les principes de « complémentarité, de solidarité, d’équité, de bien-être collectif et de satisfaction des nécessités de tous en harmonie avec la nature » pourra limiter la crise climatique et environnementale actuelle. En termes de propositions et de demandes concrètes, la déclaration exige qu’à la prochaine conférence de Cancun, les Etats industrialisés s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50% par rapport à 1990, de sorte que l’augmentation de la température ne dépasse pas 1 à 1,5 degrés.

La déclaration rejette les principes de compensation tels qu’ils existent actuellement dans le cadre du mécanisme de développement propre, les marchés d’émission de carbone revenant à marchandiser la nature. A l’inverse, l’accord enjoint les pays industrialisés à assumer leur dette climatique en dédiant 6% de leurs revenus à des actions destinées à protéger et restaurer l’environnement, et en mettant l’accent sur le transfert de technologies propres.

Certaines propositions présentes dans l’accord paraissent plus utopiques que d’autres. Ainsi, la demande d’organiser un référendum mondial sur l’environnement reste assez floue et rencontrera des difficultés logistiques probablement insurmontables. Mais quelques soient les suites qui seront données à cette initiative (consultation sur Internet, campagne de sensibilisation, référendum dans certains pays…) c’est bien la volonté d’impliquer les citoyens et écouter les populations directement affectées par le changement climatique qu’il faut retenir. La proposition de créer un tribunal de justice climatique et environnementale » (sur le modèle des tribunaux internationaux existant dans le système onusien) et qui pourrait être saisi par des Etats ou des peuples pour juger des personnes, gouvernements ou entreprises ayant commis des « crimes environnementaux », semble plus réaliste. Mais comment garantir, s’il voit le jour, qu’il aura un poids suffisamment contraignant pour obliger les coupables à réparer leurs atteintes à l’environnement et à payer des amendes ?

Enfin, la plupart des exigences adressées aux pays industrialisés, notamment en terme de réduction d’émission de gaz à effet de serre ou d’engagements financiers semblent déconnectées des réalités actuelles. On imagine mal les Etats du Nord engager 6% de leurs PIB pour lutter contre le réchauffement climatique et ses impacts au Sud…

On ne peut pas ignorer la dimension politique de cette 1ère édition de la conférence des peuples sur le changement climatique. Il est évident qu’en organisant cet événement, le gouvernement bolivien a souhaité établir un nouveau rapport de forces dans les négociations internationales sur le climat. La virulence des propos tenus à l’égard des Nations Unies et des pays industrialisés, de même que l’inscription dans l’accord final d’exigences qui ne pourront, en tout état de cause, être acceptées en sont la preuve.

Pour autant cette conférence aura sûrement permis de souligner les insuffisances de l’accord de Copenhague, mais surtout de rappeler l’absolue nécessité de démocratiser les négociations et d’écouter les peuples, communautés et pays qui subissent de plein fouet les effets de la crise environnementale et climatique.

Un article d’Hervé Kempf paru dans le Monde : Lire l'article