René Dumont, Météo France et les « mégabassines »
08.06.2022
1974. Alors que l’élection présidentielle française voit l’irruption sur la scène politique du mouvement écologiste, son tout premier candidat, l’agronome René Dumont, alerte à la télévision du risque de pénurie d’eau potable dans les prochaines décennies. « Vous savez ce qu’il va se passer? » « Nous allons bientôt manquer d’eau, et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisque avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera. ».
La vigueur des luttes, alertes et mouvements écologistes dans les années 1970 ne sont pas parvenues à infléchir notre trajectoire de dérèglement planétaire, ni à destituer les forces de saccage du vivant : un demi-siècle plus tard, à l’heure où les rapports scientifiques se font chaque année plus sombres, et où les effets dévastateurs du monde industriel sont sensiblement éprouvés par un nombre croissant d’êtres vivants, les paroles de René Dumont saisissent par leur actualité.
2022. Les prévisions du Bureau de Recherches Géologiques et Minières et de Météo France se rejoignent : c’est une sécheresse dangereuse qui s’annonce. En ce début de mois de Juin, dix-neuf départements ont déjà dépassé le seuil d’alerte de sécheresse et sont soumis à des restrictions d’utilisation de l’eau. La carte des risques de sécheresse, publiée le 18 mai par le ministère de la Transition écologique, prévoit une extension de cette sécheresse à l’ensemble du territoire français. Ces épisodes de sécheresses, jusqu’alors exceptionnels dans nos régions, prennent progressivement le visage de la nouvelle normalité : la France a connu, sur les quatre dernières années, quatre années consécutives de sécheresses historiques, et Météo France enregistre des déficits de pluviométrie quasi ininterrompus depuis août 2021.
A l’échelle mondiale, la liste des épisodes exceptionnels de chaleurs et des sécheresses historiques s’allonge chaque mois davantage : canicule accablante en Inde, sécheresse historique en Éthiopie, baisse des précipitations dans la corne de l’Afrique, tempêtes de poussière et incendies aux États Unis provoqués par le manque de pluie…
Fin avril, l’humanité a encore franchi une limite planétaire : celle de la ressource en eau douce, c’est-à-dire des eaux contenues dans les sols, principalement mise à mal par la consommation mondiale d’eau pour l’agriculture industrielle. L’étude « Une limite planétaire pour l’eau verte » publiée fin mai dans la revue Nature montre que la raréfaction de l’eau verte nous dirige vers une aridification et une désertification généralisée, qui touche déjà tous les continents.
Alors que la COP 15 Biodiversité qui s’est ouverte lundi en Côte d’Ivoire place les enjeux de désertification au cœur de ses discussions, dans un contexte d’interrogation sur l’effectivité des directives qui y sont prises, il est plus que jamais urgent de repenser en profondeur nos modèles agricoles, énergétiques et industriels, si nous voulons échapper à la guerre de l’eau.
Mais le danger est aujourd’hui tel, qu’il n’apparait plus possible d’attendre des seuls pouvoirs publics une bifurcation. Partout dans le monde, des communautés se saisissent de l’eau comme d’un enjeu politique et écologique majeur, et s’organisent pour imposer une rupture par l’action ou l’invention collective. Des paysans et des activistes luttent contre l’accaparement des nappes phréatiques par l’agriculture intensive en France en menant campagne contre les projets de « mégabassines » ; des collectifs proposent la reconnaissance de droits pour les rivières, les lacs et les glaciers, dénoncent la mainmise des intérêts privés sur l’eau ou exigent la pleine reconnaissance du droit à l’eau.
La Fondation Danielle Mitterrand travaille à soutenir le renforcement de cette responsabilité collective des communautés humaines vis-à-vis de l’eau en tant que bien commun du vivant, et à renforcer les passerelles entre luttes citoyennes et traductions institutionnelles.
Pour espérer donner tort ensemble aux pessimistes prévisions de René Dumont !
Eloïse BERARD
Chargée du programme « Vivant et commun(s) »