Chili : le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’eau appelle le gouvernement du Chili à ne pas donner la priorité aux intérêts économiques
21.08.2020
Le Chili est l’un des États du monde qui va le plus loin dans la marchandisation et la privatisation de ses eaux. Le Code de l’eau et la Constitution sont très clairs : l’eau au Chili est une ressource que tout un chacun peut s’approprier, utiliser, revendre voire louer, comme n’importe quel bien. Cette vision marchande conduit à l’accaparement des eaux par quelques-uns. Les usages miniers, agricoles et industriels de l’eau deviennent prioritaires sur les besoins vitaux en eau des populations : le droit à l’eau est bafoué pour de nombreuses personnes.
C’est ce que nous avions mis en avant en remettant l’an dernier le Prix Danielle Mitterrand à Rodrigo Mundaca, qui a co-fondé en 2010 le Mouvement de défense pour l’accès à l’eau, la terre et la protection de de l’environnement (MODATIMA). Ses membres se mobilisent pour défendre les droits des agriculteurs, travailleurs et habitants de la région de Petorca, victimes du vol et de l’accaparement de l’eau par des entreprises de l’agrobusiness, notamment des producteurs d’avocats, en connivence avec les politiques.
Il semble que le travail acharné de MODATIMA pour porter ces questions et faire du droit à l’eau une réalité au Chili commence à être de plus en plus médiatisé et reconnu. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’eau et à l’assainissement, aux cotés d’autres experts de l’ONU, a en effet pris position sur ces problématiques par une déclaration ce 20 août 2020 dans laquelle il dit notamment :
« Le gouvernement du Chili ne devrait pas donner la priorité aux plantations d’avocats et à la production d’électricité sur les droits à la santé et à l’eau de ses habitants, et les entreprises devraient s’attaquer aux effets négatifs de leurs activités sur ces droits. »
Léo Heller demande ainsi au Chili de s’expliquer sur la situation du droit à l’eau, et ce en plein crise sanitaire où la question de l’eau est encore plus cruciale et où, nous l’avions montré dans cet article, le Chili continue de prioriser les intérêts économiques sur la vie.
Nous reproduisons ci-dessous la position de MODATIMA suite à la déclaration du Rapporteur spécial Leo Heller. La Fondation Danielle Mitterrand espère que cette déclaration d’experts onusiens sera suivie d’effet pour qu’enfin le modèle actuel de l’eau au Chili soit abandonné pour rendre possible la concrétisation du droit à l’eau pour tous.
MODATIMA répond au Rapporteur spécial sur le droit à l’eau et à l’assainissement Léo Heller
Les droits humains sont le résultat de la lutte inlassable de l’humanité pour obtenir des conditions de vie adéquates. Leur respect transcende les systèmes politiques et juridiques. À proprement parler, c’est une question d’éthique et de décence. Et l’eau, étant essentielle pour les êtres humains, est étroitement liée en termes d’accès, d’approvisionnement et de potabilité, au développement de la vie dans des conditions décentes.
Le 28 juillet 2010, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies, la résolution 64/292 a été approuvée, qui reconnaît le droit humain à l’eau et à l’assainissement.
Pendant des années, nous avons dénoncé la violation du droit humain à l’eau par l’État chilien et dénoncé la responsabilité de ceux qui administre l’eau, nous avons insisté dans toutes les enceintes nationales et internationales sur la nécessité de mettre fin à cette injustice flagrante. Nous l’avons fait depuis la province de Petorca, région de Valparaíso, le territoire symbolisant le plus clairement les effets de la privatisation et de la commercialisation des eaux mises au service et priorisées pour le commerce des avocats, et non pour le maintien de la vie des communautés.
Les missions d’observation de l’Institution Nationale des Droits Humains (INDH) dans la province de Petorca effectuées en 2014 et 2018, à la demande de notre organisation, ont confirmé in situ les effets d’une vie privée d’eau, tout comme cela avait été le cas aussi avec les visites effectuées par la représentante d’Amnesty International au Chili.
Dans les forums internationaux tenus à Lima, Brasilia, Dublin, Paris, Nuremberg ainsi qu’au Sommet sur le changement climatique à Madrid en 2019, nous avons insisté pour partager à l’opinion publique mondiale qu’au Chili le droit à l’eau est systématiquement violé.
Dans le cadre de la crise sociale, et au cours du mois de janvier 2020, nous avons rencontré Soledad García, Rapporteuse sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, et nous lui avons présenté un long rapport documenté sur la violation des droits humains environnementaux au Chili.
En lien avec tout ce qui vient d’être mentionné, nous avons été informés hier (20/08/2020) des déclarations de Leo Heller, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme à l’eau et à l’assainissement, qui a souligné que «Le gouvernement du Chili ne devrait pas donner la priorité aux plantations d’avocats et à la production d’électricité sur les droits à la santé et à l’eau de ses habitants, et que les entreprises devraient s’attaquer aux effets négatifs de leurs activités sur ces droits ».
Nous avons rencontrés pour la première fois Leo Heller au Forum mondial alternatif de l’eau dans la ville de Brasilia en 2018 et nous l’avons revu au Sommet mondial sur le changement climatique en 2019. En avril 2020, nous avons répondu à un questionnaire détaillé pour le rapport thématique du rapporteur présenté à la 45e session du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.
Nous remercions Leo Heller pour cette déclaration que nous apprécions surtout au vu du poste international qu’il occupe, et nous rappelons une fois de plus que nous continuerons de lutter, dans tous les espaces nécessaires, pour l’eau.
L’EAU EST UN DROIT, PAS UN PRIVILÈGE !
MODATIMA
21/08/2020
Lien vers le questionnaire : https://www.ohchr.org/Documents/Issues/Water/Progressiverealization/MODATIMA.pdf
Lien vers l’appel de Léo Heller au Gouvernement du Chili : https://acnudh.org/chile-debe-dar-prioridad-a-los-derechos-al-agua-y-a-la-salud-antes-que-los-intereses-economicos-experto-onu/
Rencontre avec Léo Heller, Rapporteur spécial des Nations Unis sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement, Forum alternatif mondial de l’eau, Brasilia – 2018
Rencontre avec Léo Heller, Rapporteur spécial des Nations Unis sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement, à la COP25 Madrid – Espagne
Réunion avec Soledad García Muñoz, Rapporteuse spécial sur les droits économiques, sociaux et culturels. Février 2020
Eléments soumis dans le cadre du questionnaire produit pour la réalisation du rapport thématique du Rapporteur spécial Léo Heller pour la 45e session du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU