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Victoire historique pour le droit à l’eau !

19.11.2025

Alors que des millions d’Européennes et d’Européens vivent déjà le stress hydrique et peinent à accéder à un assainissement digne — un défi qui ne fera que s’amplifier avec la crise climatique — une avancée majeure vient d’être arrachée ! La proposition de résolution portée par Gabriel Amard, visant à reconnaître un droit fondamental à l’eau et à un assainissement de qualité dans toute l’Union européenne, a été largement adoptée par la Commission des affaires européennes ce 29 octobre 2025 à l’Assemblée nationale.

La Fondation Danielle Mitterrand est fière d’avoir contribué à cette bataille essentielle en participant aux travaux préparatoires. Après des années de mobilisation pour faire reconnaitre en France le droit à l’eau adopté par l’ONU en 2010, nous saluons cette avancée majeure et le travail déterminant de Gabriel Amard et de ses équipes. Pour un juste partage de l’eau, ce bien commun vital, plus que jamais au cœur de nos combats !

Vous trouverez ci-dessous notre contribution. Nous ne parlons pas en tant que juristes ou experts techniques de la gestion de l’eau, mais en tant que partenaires de terrain, proches des collectifs citoyens, luttes locales, expérimentations territoriales, syndicats de bassin, associations et communautés qui, en France comme ailleurs, agissent pour défendre un accès juste, équitable et démocratique à l’eau, et lutter contre les formes d’accaparement, de privatisation et de dépossession qui s’intensifient.

Le droit à l’eau, un droit humain universel encore non effectif

La Fondation a historiquement participé au combat pour la reconnaissance du droit à l’eau, reconnu en 2010 par les Nations Unies. Cette victoire est analysée comme une victoire en demi teinte, dépolitisée :  elle ne règle pas l’enjeu du statut de l’eau donc n’encadre pas la question de la protection de la ressource et des conflits d’usages. Dans l’Union européenne, si certaines avancées ont été faites, notamment via la directive-cadre sur l’eau et la réponse donnée à l’Initiative citoyenne européenne « Right2Water », le droit à l’eau n’est toujours pas consacré en tant que droit fondamental dans les traités ni dans la Charte des droits fondamentaux.

C’est pourquoi la Fondation Danielle Mitterrand considère qu’inscrire explicitement le droit à l’eau dans le corpus juridique européen, de manière contraignante, universelle, et opposable est une étape nécessaire, fondamentale, et nous saluons le travail mené par Gabriel Amard et ses collaborateurs. Mais cette démarche nous semble encore insuffisante à poser les cadres politiques nécessaires face aux défis qui se présentent :

  • D’une part, ce droit fondamental à l’eau ne dit rien des manières d’y répondre et ne permet pas de garantir une gestion publique ou en commun de la ressource.
  • D’autre part, ce droit fondamental à l’eau potable et domestique ne dit rien de la répartition des volumes d’eau et des usages de l’eau pour les besoins des milieux, de notre économie, qui font pourtant l’objet de débats et de conflits politiques importants ces dernières années en France.

Par exemple à cet endroit, les retours que nous avons du terrain nous indiquent que la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 qui inclue la priorisation des usages est systématiquement bafouée, quand les usages industriels passent avant les besoins des milieux : restriction d’eau, rivières assec et exonérations des restrictions d’eau pour les producteurs de maïs industriels dans le Poitou, etc.

Des conflits d’usage de plus en plus violents

Sur le terrain, en France comme ailleurs, les collectifs que nous soutenons font état d’une aggravation rapide des conflits d’usage autour de l’eau, dans un contexte de changement climatique, d’événements extrêmes et de raréfaction de la ressource. Ces conflits prennent souvent la forme d’accaparements : au profit de l’agriculture industrielle, du tourisme de luxe, ou d’activités économiques à forte consommation hydrique.

Quelques exemples illustrent cette dynamique, issus des membres du réseau Hydre :

  • Les projets de méga-bassines irriguent des cultures intensives, souvent destinées à l’export ou à l’élevage industriel, pour une minorité d’agriculteurs (environ 4 %) au détriment des nappes phréatiques et de l’intérêt général.
  • À Vittel, Nestlé Waters pompe massivement les nappes souterraines pour alimenter son marché mondial de l’eau embouteillée, au point que les habitant·es de la ville sont aujourd’hui confronté·es à des pénuries.
  • Dans les stations de montagne, des retenues collinaires sont construites pour produire de la neige artificielle malgré les alertes sur la ressource hydrique.
  • Et cet été encore, nous avons vu se multiplier les dérogations inéquitables – pour arroser des golfs ou remplir des jacuzzis – alors même que certaines communes étaient sous restriction d’eau potable.
  • Plus récemment, numérique, data centers, causent des conflits d’usages croissants, encore plus chez nos voisins européens.

Ces conflits révèlent une réalité crue : le droit à l’eau n’est pas garanti, et les choix politiques autour de sa gestion sont souvent opaques, verrouillés, dépolitisés. On les présente comme des arbitrages techniques entre usages tous légitimes, alors qu’ils sont le produit de rapports de force déséquilibrés, en faveur des intérêts économiques dominants. On voit bien que la gestion de l’eau n’est pas véritablement démocratique : la gestion publique cohabite avec diverses formes d’accaparements, de privatisation pour des intérêts industriels et commerciaux.

L’une des causes profondes de cette situation est une gouvernance déconnectée des territoires, verrouillée par des acteurs puissants, notamment certains syndicats agricoles ou groupes industriels, et peu accessible aux citoyennes et citoyens. Notons également la surreprésentation de la FNSEA dans les instances de gestion de l’eau, documentée depuis longtemps mais maintenant sourcé. (cf à l’étude réalisée récemment par Greenpeace).

De nombreux collectifs expriment leur impuissance à faire valoir leur point de vue, à accéder aux espaces de décision, voire à faire appliquer les lois existantes. Les processus sont trop lents, trop centralisés, et les logiques de marchandisation ou de gestion déléguée (DSP) accentuent la perte de contrôle démocratique sur l’eau.

Une approche systémique et radicale 

C’est pourquoi la Fondation Danielle Mitterrand défend une approche alternative :

  • Elle défend une approche systémique de la question de l’eau, qui semble nous contraindre à repenser les usages des territoires et penser des usages qui soient démocratiquement décidés.
  • Elle défend une approche par les communs, qui connait un regain depuis plusieurs décennies et permet de garantir une régulation commune de l’usage, une régulation ni marchande ni strictement étatique.

Elle repose sur trois piliers :

  1. Une communauté d’usagers, locale, informée et impliquée.
  2. Un système de règles collectives, construit de manière démocratique.
  3. Un mode de gestion partagé, à l’échelle adaptée – souvent celle du bassin versant. Question qui se pose à quel niveau situer cette communauté (commune, bassin versant, ect) et quelle procédure politique pour que cette gouvernance soir le plus démocratique possible ?

La Fondation fait le pari de s’appuyer sur les luttes pour contribuer à modifier les rapports de force aux niveaux institutionnels, mais aussi sur des formes d’inventivités extra-institutionnelles, syndicats de territoire (Appel du Rhône, PTGE Citoyens, etc. ). Des formes innovantes de gouvernance démocratique et écologique émergent, parfois hors du cadre institutionnel traditionnel, parfois en coopération avec lui.

La hiérarchie des usages déjà encadrée par notre arsenal législatif, mais régulièrement bafouée

Les retours que nous avons du terrain nous indiquent que la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 qui inclue la priorisation des usages est systématiquement bafouée, quand les usages industriels passent avant les besoins des milieux.

Contexte législatif : priorité aux usages vitaux

La loi du 3 janvier 1992, complétée par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, établit une hiérarchisation claire des usages en cas de pénurie d’eau : priorité à la santé, la salubrité publique, la sécurité civile et l’approvisionnement en eau potable. Le préfet peut alors restreindre ou suspendre d’autres usages selon cette hiérarchie

Cas notables à la connaissance de la Fondation Danielle Mitterrand où cette hiérarchie n’a pas été respectée (il faudrait poursuivre la démarche d’enquête et faire remonter d’autres cas du terrain, avec des moyens et du temps dédiés).

1. Agriculture intensive et mégabassines
2. Dérogations mal encadrées
  • Les arrêtés sécheresse, principaux outils de restriction, souffrent d’une mise en œuvre limitée en raison de contrôles faibles et de dérogations peu transparentes (voir rapport d’information de la commission du développement durable, présenté par Loic Prud’Homme du 4 juin 2020)
  • Dans certaines zones sensibles, des dérogations sont accordées de manière jugée « négociée » plutôt que fondée sur des critères objectifs, affaiblissant la protection des usages prioritaires (voir même rapport)
3. Échec de la gouvernance concertée et planification
4. Exemples concrets de tensions locales
5. Manifestations citoyennes dénonçant les priorités inéquitables
  • À Sainte-Soline, les mouvements citoyens et écologistes ont dénoncé publiquement l’aménagement priorisant l’irrigation industrielle sur les usages collectifs ou écologiques Crises de l’eau : comment gérer les conflits d’usage ? et dénoncent le manque de données objectives et de déficit de transparence dans les choix de gestion.

Recommandations : pour et au-delà d’un droit européen à l’eau, concret et opposable

  • Inscrire explicitement le droit à l’eau potable et à l’assainissement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sur la base des standards onusiens.
  • Adopter une directive cadre sur le droit à l’eau, rendant ce droit opposable, précisant les obligations des États membres et renforçant les moyens de contrôle démocratique.
  • Reconnaître l’eau comme bien commun non marchand, exclu des logiques de profit, notamment dans le cadre des politiques de libéralisation ou de délégation de services publics.
  • Interdire l’embouteillage de l’eau, et encadrer les droits de pompage des multinationales et des entreprises sur nos nappes phréatiques
  • Lancer une commission d’enquête parlementaire sur la violation de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, travailler à la rendre contraignante et à la faire respecter. Envisager de faire passer certains usages agricoles dans la catégorie des usages industriels.
  • Lancer un audit citoyen et populaire pour revoir la composition des instances de gestion de l’eau et notamment des Commissions Locales de l’Eau, dit aussi parlements de l’eau, pour en faire de véritables espaces de délibération démocratiques sur les usages et la répartition de l’eau.
  • Favoriser la décentralisation et la participation citoyenne dans la gestion de l’eau, en soutenant les initiatives locales de gouvernance par les communs.
  • Intégrer dans le droit européen la possibilité de reconnaître des droits aux écosystèmes aquatiques, à l’instar des fleuves ou rivières dotés de personnalité juridique.