« L’État réduit en folklore le mode de vie des populations autochtones »
05.04.2019
Marion Veber, responsable du programme « droit des peuples » à la Fondation France Libertés, a échangé avec Raphaël Mapou, militant indépendantiste et activiste pour les droits du peuple autochtone Kanak.
Marion Veber : à quand remonte votre engagement pour les droits du peuple kanak ?
Raphaël Mapou : je suis militant indépendantiste depuis la fin des années 1970. Je me suis totalement investi, depuis la signature en 1998 de l’accord de Nouméa, dans le combat autochtone et la reconnaissance des droits du peuple kanak, afin de vraiment donner du sens au nationalisme kanak et de concrétiser les attentes du peuple autochtone kanak.
A quelle organisation appartenez-vous et quels sont ses combats ?
Je suis secrétaire général du comité Rhéébù Nùù, comité autochtone défenseur du patrimoine environnemental kanak du grand sud de la grand-terre. Ce comité a été crée en 2002 pour porter la parole des chefferies kanak impactées directement par le projet d’usine hydro métallurgique de nickel porté par la multinationale canadienne INCO et repris en 2007, par la société brésilienne VALE.
Ce comité, après une lutte menée sur le terrain et devant les tribunaux, après l’exigence de contre-expertise menée par des experts internationaux sur les questions environnementales, a réussi – et, malgré l’opposition des partis indépendantistes du FLNKS- à négocier la mise en place d’un pacte pour le développement durable du Grand sud liant, les chefferies autochtones, le comité Rhéébù Nùù et la multinationale Vale.
Quelle est votre analyse du référendum d’indépendance de 2018 ?
S’agissant du référendum du 4 novembre 2018, il ouvre après les 20 années du processus dit de décolonisation, une période transitoire qui peut durer 2 à 4 années voire plus, si l’on s’en tient à la lettre et à l’esprit de l’accord de Nouméa, lequel est basé sur l’irréversibilité du dit processus de décolonisation. Un deuxième référendum devrait être déclenché à partir de 2020 par un tiers des membres du Congrès de la Nouvelle-Calédonie élus aux élections de mai 2019 puis un troisième si le NON continue de l’emporter.
Ce référendum qui s’est déroulé dans un climat serein avec une forte mobilisation de l’électorat kanak et Calédonien, a pêché sur la question du corps électoral spécial appelé à voter à ce scrutin spécial. En effet, les modifications apportées par la loi organique du 15 avril 2018, ont introduit de nouveaux critères d’admissibilité qui n’ont pas joué en faveur du vote pour l’indépendance. Cela se traduit par une régression anormale de l’électorat kanak en pourcentage : 46,87 % en 2014 et 44,93% en 2018.
Malgré cela, le vote indépendantiste a porté sur 43,7 % et le vote loyaliste sur 57,3%, ce qui signifie qu’environ 70 % des électeurs kanak inscrits votent pour l’indépendance soit 80% des votants kanak.
C’est une grande victoire pour le peuple autochtone kanak, qui ne s’est pas laisser prendre par la politique d’assimilation développée à coup de milliards durant les trente dernières années par l’Etat français et les institutions républicaines. Malgré cette politique et le fait que près de 60% de la population sont nés après la guerre civile de 1984-1988, la jeunesse kanak a démontré qu’elle restait attachée à son identité, à sa terre et à la libération de son pays.
Quelle est la situation des peuples autochtones aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie ?
Le bilan de l’accord de Nouméa du point de vue de la reconnaissance des droits autochtones reste mitigé car ce que les élus indépendantistes et loyalistes ont privilégié dans les politiques publiques engagées depuis le début des accords, porte sur les infrastructures et les services publics. De ce point de vue le rééquilibrage est atteint.
En revanche cela ne s’est pas du tout traduit en ce qui concerne la formation des kanak et leur prise de responsabilité. Cela ne l’est pas non plus en ce qui concerne la prise en compte de la légitimité coutumière et la reconnaissance des chefferies dans la gouvernance des territoires et de la gestion des hommes. Cela ne l’est pas plus en ce qui concerne la mise en place de politiques publiques dédiées au développement des terres coutumières et des outils autonomes nécessaires à l’Identité kanak. Au niveau des lois du pays, seules deux lois du pays sur le droit coutumier ont été votées, malgré les nombreuses propositions du sénat coutumier qui n’ont pas été étudiées par les élus.
Comment faire avancer la reconnaissance du peuple kanak ?
Dans tout processus de décolonisation, la question essentielle est celle de la prise en compte du peuple premier et de ses droits sur ces terres, ces ressources et espaces naturels, sur la transmission et le respect de sa culture et de sa vision de la société. Dans le cadre du modèle étatique français, ce qui pose problème c’est son caractère assimilationniste. Le droit à la différence est reconnu mais dans le cadre du système ou modèle français et de la promotion des droits de l’homme individualiste et de la propriété privée. Ainsi, le mur culturel et sociétal du modèle étatique français dressé depuis la prise de possession en 1853 tend systématiquement à réduire en folklores et en caricatures le mode de vie et les actions des populations autochtones.
Cette confrontation permanente auquel est soumis un peuple autochtone avec son système collectif millénaire, a conduit le peuple kanak à définir et à transcrire le socle commun des valeurs et des principes fondamentaux de la civilisation kanak. L’intérêt de cette Charte du Peuple Kanak est de donner une base unitaire, aux huit différentes aires coutumières et de définir ce qui est commun dans le système coutumier du peuple mélanésien kanak mais sans que cela soit une loi, pour éviter de figer la coutume par l’écriture. Sur le plan du droit, la Charte du peuple kanak a la même fonction dans sa conception aux droits de l’Homme et du citoyen. Elle irrigue la société kanak mais également la société Calédonienne en général. Elle devrait permettre de dialoguer à égalité avec le modèle français ou occidental pour asseoir une société reconnaissant les droits collectifs du peuple premier et la diversité des droits individuels et citoyens.
Raphaël Mapou a soutenu l’année dernière une thèse de doctorat en droit, à l’Université de la Nouvelle-Calédonie : “analyse dialectique des transformations du droit en Nouvelle-Calédonie : l’Etat colonial républicain face aux institutions juridiques kanak”.