Le village kali’na de Prospérité, lauréat du Prix Danielle Mitterrand 2023
02.10.2023
La Fondation est très heureuse de remettre cette année le prix Danielle Mitterrand à l’ensemble des habitants et habitantes du village kali’na de Prospérité en Guyane. L’engagement dont ils et elles font preuve pour récupérer le pouvoir de décision sur le devenir de leur territoire de vie est une véritable source d’inspiration.
Cependant, la joie de partager le projet d’autonomisation mené au village, est rapidement rattrapé par un grand sentiment de désolement et de colère : les habitant·es verrons leur forêt d’usage rasée d’ici quelques semaines, détruite avant même la remise du prix ! Depuis 3 ans, les habitant·es s’opposent à l’implantation du projet de Centrale Electrique de l’Ouest Guyanais (CEOG) aux abords de leurs terres. Malgré leur résistance, les travaux de déboisement et de terrassement ont repris le 16 août, dans un climat de violence extrême. Chaque jour, les habitant·es qui défendent leur lieu de vie et sa riche biodiversité, se voient submergé·es de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement ! Une scène qui ne nous est malheureusement plus étrangère.
Alors que le silence médiatique et politique autour de cette répression est abyssal, ce prix est le reflet de notre soutien et de notre solidarité ! Une délégation d’habitant.es d’Atopo Wepe sera présente en novembre pour partager leur détermination à défendre leur forêt et la force de leur manière d’habiter le monde. Une occasion unique de décentrer collectivement nos regards !
La remise du prix aura lieu le jeudi 23 novembre à l’Académie du Climat.
3 ANS DE RESISTANCE
L’installation de la CEOG « saluée par les autorités comme un projet exemplaire » sur le plan social et environnemental vise à approvisionner la région de l’ouest de la Guyane en énergie. Mêlant du solaire à une unité de stockage à hydrogène, ce projet est présenté comme vertu… Et pourtant ce sont 78 hectares de la forêt amazonienne, sur les terres ancestrales du peuple kali’na qui seront saccagées pour y installer des panneaux photovoltaïques. [Une surface équivalente à 192 terrains de football].
Face à ce projet, mené tambour battant par le fonds d’investissement Meridiam, la société Hydrogène de France Energy (HDF) avec le soutien des autorités françaises, la voix des habitant·es du village de Prospérité s’est élevée pour réclamer son déplacement. « Le peuple kali’na du village de Prospérité qui a vu ses terres volées par les colons européens il y a plusieurs siècle voit donc aujourd’hui un projet industriel s’installer sur son territoire » dénonçaient plus de 170 personnalités et organisations dans une tribune de soutien aux villageois·es en décembre 2022.
Après avoir mené des recours juridique pour révéler les conséquences du projet sur certaines espèces protégées, bloquer des routes pour faire entendre leur voix et dénoncer les manques de consultation et de réelles prises en compte de leurs paroles, les habitant·es résistent dorénavant directement aux machines prédatrices. Malgré la violente répression à laquelle ils et elles sont confronté·es, ces défenseur·ses de la forêt déclarent être prêt·es à « aller jusqu’au bout » .
Leur revendication reste inchangé : la transition énergétique ne se fera ni en niant les droits des peuples autochtones, ni en saccageant la forêt amazonienne !
« NA’NA MONTO NOLO MAN – NOUS SOMMES ENCORE VIVANTS ! »
La détermination dont font preuve les habitant·es est le reflet de leurs attachements à leurs terres. Depuis 30 ans, le village a organisé sa subsistance autour de la forêt. Pratiques de chasse et de pêche, accès à l’eau grâce à la crique Sainte-Anne, présence de sites sacrés, ces liens avec la forêt environnante font partie intégrante de la vie des habitant.es de Prospérité. En 2020, les délibérations collectives ont fait naître la volonté de s’engager vers un processus d’autonomisation. Un espace autogéré est créé pour se réapproprier les conditions matérielles de subsistance et transmettre les savoirs traditionnels kali’na. Potager dans le village, poulailler, pépinière, atelier d’agro-transformation, mise en commun d’outils, ateliers de couture, etc. le chemin de cette autonomisation s’incarne dans de nombreuses activités. Comme les habitant·es l’expliquent « à force de subir un monde capitaliste qui dévore notre monde, à force d’apprentissages, de longues discussions, de recherche de solutions, l’association du village a décidé de retrouver de l’autonomie, de l’indépendance aussi. »
C’est donc toute cette dynamique d’autonomisation qui est mise à mal par l’accaparement et la destruction des terres par la CEOG. Alors qu’une vingtaine d’hectares ont déjà disparus sous les coups des pelleteuses entrées sur le territoire depuis quelques mois, les traumatismes collectifs sont déjà palpables. L’écho des arbres abattus, le bruit des machines et celui inquiétant des détonations d’armes répressives sont le nouveau quotidien du village ! Face à ces réalités, l’implantation de la centrale doit se déplacer, et le droit à l’autodétermination doit être respecté !
Leur résistance est une lutte pour défendre leur pouvoir de décision et leur manière d’habiter le monde.
Pour aller plus loin
– Voir le DOSSIER DE PRESSE
– Une analyse en profondeur du projet et des enjeux posés : Guyane : Soutien au village Wepe !
– Reportage de BLAST : Forêt en Guyane : Silence on tue
– Article « La lucha de la aldea Atopo W+p+ contra una central eléctrica en Guayana Francesa » par Pierre Auzerau et Mélissa Sjabere [espagnol]
– Articles sur le journal Reporterre :
- En Amazonie française, une zad contre une mégacentrale électrique
- Zad en Guyane : « Nous ressentons la déforestation dans notre chair »
- « Des ados se font gazer » : en Guyane, les Amérindiens combattent une centrale électrique
- « Les enfants sont traumatisés » : en Guyane, une lutte écolo vivement réprimée