« Mon histoire, celle du peuple Krenak, est celle de la souffrance, de la lutte et donc de la résistance ! »
29.11.2018
Geovani Krenak, représentant du peuple autochtone Krenak du Brésil, était en Europe du 28 octobre au 9 novembre dans le cadre de la campagne de solidarité Justice For Krenak, menée par France Libertés et le peuple Krenak. Depuis plus de trois ans, ce peuple fait face aux impacts du plus grand crime environnemental qu’ait connu le Brésil : la rupture d’un bassin de stockage de déchets miniers de l’entreprise Samarco. Lors de sa présence en Europe, Geovani a sensibilisé un large public aux conséquences dévastatrices de ce crime pour les Krenak, et a dynamisé la solidarité autour de son peuple.
« Ce n’était pas une tragédie ni une catastrophe. C’est un crime ! »
Au cours des conférences et rendez-vous organisés, Geovani a pu porter la voix de son peuple. Il a exprimé le bouleversement profond que cette pollution a entrainé pour les Krenak. Leur mode de vie et leur culture sont profondément liés à la nature environnante, en particulier le Rio Doce, aujourd’hui considéré comme mort suite au déversement de millions de tonnes de boues toxiques dans ce fleuve sur plus de 600km jusqu’à l’océan Atlantique.
Pour les Krenak, il est inacceptable qu’à ce jour encore aucun responsable n’ait été condamné malgré les dommages sans précédents et « les millions de vies tuées ». A ce propos, Geovani a souligné que les occidentaux « parlent des humains qui sont morts, mais ne raisonnent pas par rapport aux autres êtres vivants que sont les poissons et les plantes, plantes qui nous servent pour la médecine traditionnelle par exemple. Alors que nous, peuples autochtones, accordons une vraie valeur à la vie, à la vie humaine, à la vie des animaux, à la vie des plantes. »
Un des points récurrents des discours de Geovani a été de transmettre la vision des Krenak sur cette rupture de barrage de déchets miniers : « Ce n’était pas une tragédie, une catastrophe ou autre chose. C’est un crime ! ». En effet, comme le soulignent de nombreux rapports, l’entreprise Samarco savait que son barrage avait des failles. « Nous exigeons que la compagnie minière responsable de ce crime qui a détruit la vie de mon peuple, qui a rendu difficile pour mon peuple ses pratiques culturelles et spirituelles, soit punie. »
Geovani dénonce également le fait que Samarco cherche à se déresponsabiliser en ayant recours à un vocabulaire de l’ordre de l’accident. Il rappelle que même la gestion post-crime se place dans une stratégie des entreprises Vale et BHP Billiton, constituant Samarco, de se démarquer au maximum en termes de responsabilités : « Vale a adopté une stratégie visant à se démarquer du crime, à éviter la culpabilité, en mettant Samarco sur le devant de la scène. Et Samarco a ensuite créé Renova [la fondation constituée suite au crime pour réparer et compenser les victimes] ». Une tentative de déresponsabilisation flagrante à laquelle ont souvent recours les multinationales.
« Le Prix Danielle Mitterrand symbolise le combat des Krenak, nos luttes et nos résistances »
Face à l’ampleur du désastre que ce crime a engendré pour les Krenak, et pour répondre à leur besoin de visibilité et de solidarité internationale, France Libertés mène avec les Krenak la campagne de sensibilisation Justice For Krenak soutenue par un grand nombre d’associations. A l’occasion du 3e anniversaire du crime (le 5 novembre) Geovani est venu en Europe pour deux semaines intenses durant lesquelles il avait à cœur de partager l’histoire des Krenak : « Mon histoire, celle du peuple Krenak, est celle de la souffrance, de la lutte et donc de la résistance ! ».
Pour Geovani, « parler avec les sénateurs français, participer à des conférences, alerter la population sur les réseaux sociaux, etc. est le début d’un travail de long terme ». Les Krenak ont aujourd’hui besoin d’appui pour pouvoir mener à bien leurs combats, notamment celui de la démarcation de leurs terres et la défense de leur droit à l’eau.
C’est justement ces actions que France Libertés a voulu saluer en remettant le Prix Danielle Mitterrand 2018 au peuple Krenak. Lors de la cérémonie le 3 novembre dernier, Geovani partageait avec la salle comble sa fierté : « C’est avec beaucoup d’honneur et de satisfaction que nous, que moi, en tant que représentant du peuple Krenak, je reçois cet hommage et l’apporte à mon peuple avec beaucoup d’affection, pour intensifier davantage notre lutte, notre résistance ». Pour lui, « le Prix symbolise le combat des Krenak, nos luttes et nos résistances ».
Un Prix décerné dans un contexte très inquiétant pour les peuples autochtones du Brésil
Arrivé à Paris le jour des résultats des élections présidentielles brésiliennes, Geovani Krenak était particulièrement abasourdi par le choix du peuple brésilien. Face à un nouveau président, Jair Bolsonaro, nostalgique de la dictature militaire, ouvertement hostile aux droits des peuples autochtones, considérant les activistes de la société civile comme des terroristes et très clairement pro industries extractives, le combat des Krenak s’annonce particulièrement difficile.
Geovani disait de Jair Bolsonaro « Son discours n’est qu’exploration, extractivisme, mort, destruction de la vie humaine et de la nature. »
C’est pourquoi, en recevant le Prix Danielle Mitterrand 2018, Geovani a insisté sur l’importance pour son peuple du soutien international « Cet hommage, je l’apporte à mon peuple pour rendre les personnes de mon village beaucoup plus confiantes dans la lutte, et pour leur dire qu’il y a des personnes, principalement ici, en Europe, qui s’intéressent à la lutte des peuples autochtones, et que, d’une certaine façon, cela puisse mobiliser et sensibiliser plus de personnes aux crimes qui ont lieu au Brésil, principalement ceux contre les peuples autochtones ».
Appelé Nandion (mauvais esprit) par les Krenak, Jair Bolsonaro fait peser une menace plus forte que jamais sur l’ensemble des peuples autochtones brésiliens et représente un danger plus généralement pour le monde entier en termes environnemental et climatique notamment. Geovani précise ainsi « ce sera une lutte intensifiée pour les droits des autochtones : c’est-à-dire contre l’assassinat d’un grand nombre de mes proches ».