Une étape marseillaise dans l’été nous permet de rencontrer Selim et Fiona, membres de la Réserve citoyenne du Nouveau Front Populaire (NFP). Ce collectif a été fondé par des militant·es historiques de Marseille comme Kévin Vacher, quasiment au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024. La Réserve a rassemblé 4 400 personnes, dont un millier sont passées à l’action: c’est probablement la dynamique citoyenne la plus importante de la campagne des législatives anticipées. Elle est composée majoritairement de primo-militant·es qui ont franchi le pas pour déjouer la victoire annoncée du Rassemblement national (RN). La Réserve se donne pour mission d’intervenir dans les batailles électorales, en faveur de l’union de la gauche sur une ligne de rupture avec le néolibéralisme, et entend maintenir «une exigence et une pression constructive sur les organisations politiques et les élu·es» pour qu’elles respectent leurs engagements.
Est-ce que vous pouvez commencer un peu par me dire qui vous êtes, d’où vous venez, ? Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager à la réserve Citoyenne ?
Fiona : J’ai 31 ans, je suis consultante en coopération internationale et j’habite Marseille depuis à peu près 2 ans et demi. J’ai toujours été politisée à gauche, pas encartée mais proche de toutes les idées de gauche et très portée par cette idée d’union de la gauche qui me faisait un peu rêver. Le 9 juin, le soir des élections européennes, quand Macron annonce la dissolution, je me suis sentie un peu sonnée et perturbée dans mon salon toute seule. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve des réseaux pour me mobiliser. Je me suis retrouvée dans les boucles de la Réserve Citoyenne. J’ai commencé à faire des actions concrètes, comme des collages, des porte-à-porte… Assez vite, je me suis retrouvée à coordonner des actions de collage dans mon arrondissement. Et au lendemain du premier tour, on m’a invitée à rejoindre le groupe de coordination de la Réserve. Depuis, je suis plusieurs sujets : je coordonne un groupe qui travaille sur les outils de communication interne. Je travaille sur la coordination générale et j’anime aussi les événements internes pour tous les bénévoles de la Réserve. On fait des apéros, des ateliers, le club POP. On est le Club Med de la Réserve Citoyenne quoi !
Selim : Moi je m’appelle Selim, j’ai 46 ans, j’ai fait la plus grande partie de ma carrière comme journaliste à l’étranger, notamment au Liban. Je suis revenu à Marseille il y a 2 ans. Politiquement, j’ai toujours été à gauche. En revenant à Marseille, j’avais dans l’idée « d’atterrir » – pour reprendre l’expression de Bruno Latour – de faire de la politique dans un terreau local. Le 9 juin est arrivé et je me suis dit qu’il fallait que j’agisse. J’ai rejoint les boucles de la Réserve et très vite, je me suis retrouvé à coordonner les actions sur certains arrondissements, notamment les 9 et 10e qui sont très marqués RN. Moi c’est l’axe qui m’intéresse le plus : aller chercher les électeurs du RN ou des gens qui allaient voter pour le RN et leur montrer, à travers une argumentation rationnelle, que ce n’est pas dans leur intérêt de voter RN en tant que personne issue des classes populaires. En ce moment, je suis actif dans le groupe qui travaille sur la rédaction du manifeste de la réserve citoyenne et dans le pôle de lutte antiraciste.
Quels étaient les enjeux électoraux à Marseille et quels ont été les résultats ? Est-ce que vous êtes allés au-delà de Marseille ?
Fiona : La Réserve Citoyenne du Front populaire existe principalement à Marseille, mais on a aussi mené quelques actions à La Ciotat et à Aix. Aujourd’hui, on aimerait aider des gens à développer des dynamiques similaires ailleurs dans le département et la région ! Pour les législatives à Marseille, on s’est concentré sur les circonscriptions prioritaires : il fallait éviter qu’une nouvelle circonscription ne bascule à l’extrême droite et réduire l’écart entre le NFP et le RN. Les résultats ont montré un paysage hyper divisé à Marseille, avec 3 circonscriptions remportées par le RN et 4 gagnées par la gauche, dont une qu’on a emportée à 800 voix seulement, en grande partie grâce à notre action sur le terrain ! On a réussi à réduire l’écart entre le Nouveau Front Populaire et le RN, notamment sur la circonscription incluant les quartiers nord de Marseille, qui devient gagnable. La Réserve citoyenne a eu un impact déterminant, tout le monde l’a reconnu. Il faut dire qu’il y a eu 4 400 personnes inscrites dans les boucles, avec un millier de personnes actives sur le terrain ! Aujourd’hui, il y a encore environ 100 personnes actives.
Qu’est-ce qui vous a plu à la Réserve citoyenne qui vous a donné envie de vous engager davantage ? Pourquoi avez-vous préféré militer dans cette organisation plutôt qu’un parti politique ?
Fiona : Il se trouve que le 9 juin, j’étais vraiment désespérée, alors sur un coup de tête, j’ai adhéré à deux partis politiques. Je suis allée à une rencontre avec des représentant-es locaux, ici à Marseille. J’ai très vite vu que c’était pas du tout la même ambiance qu’à la Réserve Citoyenne. Ce que j’ai aimé à la Réserve, c’est le côté trans-partisan. On milite pour des idées et pour un idéal d’union de la gauche. J’ai aimé rencontrer des personnes de divers horizons et ancrer l’action localement. Je veux continuer à lutter contre les idées du RN et porter les idées de gauche sans devenir un parti politique. Je ne suis pas assez engagée pour défendre un parti. Il n’y a aucun parti avec lequel je suis en accord sur tout. Adhérer à un parti, ça engage trop justement. Un mouvement, c’est moins contraignant, c’est plus grisant.
Selim : Avant ça, je me suis aussi rapproché d’un parti, mais les réunions auxquelles j’ai participé m’ont beaucoup énervé : les gens passaient plus de temps à parler des problèmes organisationnels que des sujets de fond ! Moi, je voulais passer à l’action. Enfin, tu as la crise climatique, tu as la crise de l’anthropocène quoi, et pendant ce temps-là toi tu discutes de points de règlement ? ! Au final, un parti, ça devient facilement une machine de guerre à gagner des élections.
Mais finalement, qu’est-ce que c’est la Réserve Citoyenne ?
Selim : Je dirais que c’est une expérimentation politique, c’est ça qui est intéressant. On n’a pas un idéal prédéfini en tête, on expérimente des choses, on s’adapte. Donc on ne sait pas où on va exactement, mais ce dont on est certain, c’est ce qu’on veut essayer de faire de la politique d’une façon différente. On veut jouer un rôle dans les élections, sans se laisser bouffer et sans se faire d’illusions sur les contraintes et les limitations qu’entraînent notre système politique, sa crise institutionnelle évidente, notamment celle de la Ve République.
Est-ce que vous vous concentrez uniquement sur les élections ? Qu’allez-vous faire en dehors des temps de campagne ? Comment allez-vous faire perdurer la Réserve citoyenne de Marseille ?
Selim : On est en train d’écrire un manifeste pour guider notre action, c’est un sacré défi ! Aussi, on est un mouvement ancré dans la ville de Marseille, pour nous la dimension locale de la Réserve est majeure, on veut donc contribuer aux luttes qui se font ici. Pour ça, nous avons créé un pôle action qui anime le fait qu’on aille en renfort de luttes et d’actions locales. On ne veut pas réinventer la roue à chaque fois, donc ne jamais faire à la place de collectifs qui sont déjà en place. Par exemple, on va aller aider les femmes de ménage en grève au Radisson Blue [qui depuis ont gagné]. Les actions pour les mineur·es non accompagné·es qui s’organisent autour de l’église Saint-Ferréol. Et en novembre, une campagne citoyenne en vue du procès de la rue d’Aubagne [suite au drame de l’effondrement d’un immeuble dans le quartier de Nouaille le 5 novembre 2018 qui emporté huit personnes]. Il y a aussi les actions de long terme, comme des campagnes pour l’inscription sur les listes électorales. Et on a beaucoup de travail sur la lutte contre le racisme et le RN comme principal parti raciste de France (même s’il y en a d’autres). On a besoin de bâtir des argumentaires, de montrer qu’il n’y a pas de submersion migratoire, par ex. Et pas d’aller voir les gens en leur disant « moralement, ce que vous faites [en votant RN], c’est mal » ce qui ne me sert à rien.
Il y a énormément de primo-militant·es dans votre organisation, qu’est-ce que ça implique pour vous ? Il doit y avoir des besoins de formations, comment y répondez-vous ?
Selim : Déjà pendant les élections, il y a eu des formations, une par semaine me semble-t-il avec du présentiel et de la visio. Celle que j’ai faite par exemple, on était une trentaine en physique et autant en visio. L’idée était de donner des outils pour aller sur le terrain, faire du porte à porte ou du tractage relationnel, et de discuter des retours d’expériences du terrain. Ensuite, la formation c’est un enjeu énorme pour nous dans la structuration de la Réserve. On est nombreux à ne jamais avoir fait de politique, ne pas avoir été dans un parti, donc à ne pas avoir la pratique de mener un débat ensemble, d’arriver à une décision ensemble, d’accepter que le collectif ait décidé quelque chose avec lequel on n’est pas d’accord, sans claquer la porte pour autant, etc. Tout ça s’apprend en pratiquant (comme écrire un texte ensemble comme le manifeste ou participer aux assemblées). Mais on a aussi besoin de moments de partages d’expérience, d’auto-formation. On veut éviter les moments descendants avec les sachants d’un côté et apprenants de l’autre, même si parfois il faut aussi en passer par là. Outre, les enjeux de formation à l’organisation et au fonctionnement collectif, on est entouré de profs en sciences politiques qui vont organiser des événements, comme par exemple, à la rentrée, Félicien Faury vient pour discuter de son livre Des électeurs ordinaires : Enquête sur la normalisation de l’extrême droite dans le midi.
Est-ce que vous pouvez me raconter ce qui vous le plus marqué·e pendant la campagne des législatives ?
Fiona : Le « Meeting-mi-teuf » d’avant le premier tour ! On a rassemblé 5 000 personnes avec des prises de parole incroyables et des performances notamment de Camille Étienne, Edwy Plenel, Julia Cagé, de militant-es marseillais-es historiques, et puis des performances, des groupes de musique. C’était un moment très fort, très festif surtout, qu’on a réussi à monter en très peu de temps et avec très peu de moyens !
C’était important pour vous cette dimension festive, joyeuse dans les actions de la Réserve ?
Selim : Oui ! Il est très clair que pour les gens qui ont pensé et structuré la dynamique au début, l’aspect de la joie était super important. Je trouve que la fête, c’est ultra politique, c’est une résistance qui s’incarne dans le plaisir. Il y avait, il y a beaucoup de plaisir et de joie. La joie de se retrouver pour mener campagne contre l’extrême droite, dans un contexte où on avait l’impression que l’histoire était venue frapper à notre porte. La joie de ne plus être tout seul-e, celle d’être dans l’action, l’un des meilleurs boucliers contre l’angoisse. Le plaisir d’aller parler à des gens que tu ne connais pas et qui vivent dans la même ville que toi, de parler de questions politiques. J’étais surpris d’à quel point les gens avaient envie de parler ! Surtout quand tu ne viens pas d’un parti politique, mais d’une dynamique citoyenne, c’est un énorme avantage pour briser la glace.
Quel serait l’enseignement majeur de cette période pour vous ?
Selim: C’est que face à l’Histoire – j’assume la grandiloquence du terme – il y a quand même des sursauts qui peuvent exister. Alors après, électoralement, ce sursaut est limité. Encore une fois, 28% [pour le Nouveau Front Populaire] au premier tour, c’est vraiment faible. Mais malgré tout, il y a eu un sursaut et notamment par l’intermédiaire des mouvements comme la Réserve Citoyenne, de ces collectifs, de ces associations, de tous ces gens qui se sont dit « non mais ça ce n’est pas possible quoi, on ne peut pas rester les bras croisés ». La conscience des citoyen·nes, n’est pas totalement endormie, pas totalement anesthésiée. Elle peut être réveillée dans des proportions bien plus importantes encore je pense. C’est un travail considérable, mais assez joyeux donc allons-y !