Cet automne, nous avons profité d’un week-end à Rennes pour rencontrer Komokoli Régine. Régine est membre du Kollectif Kune de Rennes qui a activement contribué à la campagne législatives de cet été en tissant des liens avec les campagnes alentours. Alors que tout le monde débat des stratégies et des alliances entre les classes populaires urbaines et rurales, le Kollectif Kune, depuis un quartier populaire rennais, trace des perspectives enthousiasmantes. Afro-féministes, écologistes et solidaires, les membres de Kune ont organisé des « grands déplacements » en Loire-Atlantique et en Ille-et-Vilaine pour manifester contre l’extrême droite, célébrer la mémoire de la résistance avec Juliette Rousseau et Réveillons la Résistance, ou encore organiser des rencontres entre habitant-es des campagnes et des quartiers afin de se rendre compte des points communs qui peuvent les unir et démolir les mythes de « grand remplacement ».
Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours et ce qui t’as amenée à co-créer le Kollectif Kune ?
Komokoli Régine : Je suis Komokoli Régine, je mets d’abord mon nom car là d’où je viens, c’est ainsi, et c’est un choix politique. Originaire de la République Centrafricaine, l’un des pays les plus pauvres au monde, classé 191e sur 193 à l’Indice de développement humain, j’ai fui à cause des années de conflits, de l’instabilité politique et du sous-développement qui ont provoqué une crise humanitaire négligée. Je suis arrivée en France il y a 22 ans. Mon parcours a été difficile, marqué par une vie de “sans-papiers” et toutes les difficultés qui en découlent. J’ai été régularisée après de longues démarches. Je le dis car pour moi, c’est très important, en écho au « grand remplacement » et ce qu’ils veulent nous faire croire avec ce fantasme. Je suis aujourd’hui aide-soignante auprès des personnes âgées, un métier du soin. Et je suis également élue au département d’Ille-et-Vilaine, en charge de la petite enfance et des parentalités pour encore trois ans. Je suis la première femme en France à avoir vécu la vie des sans-papiers, puis à être devenue élue de la République française. Je suis écologiste mais non encartée et une des chevilles ouvrières du Kollectif Kune. J’avais accepté un poste d’animatrice des cours de couture et des cours de Zumba auprès des femmes du quartier et notamment les femmes voilées qui sont souvent discriminées. Et c’est comme ça que j’ai rencontré mon amie Fatima.
Pendant le COVID, quand il y a eu l’appel national à la solidarité pour créer des masques, on en a fabriqué pas mal avec les femmes du quartier et l’association Mosaïque, plus de 3 000 ! C’étaient des associations pour la santé, des infirmières, des étudiant·es aussi qui portaient nos masques. A la sortie de la crise, on entendait toutes les félicitations, les remerciements, les reconnaissances nationales sans jamais que l’on parle de nous, même les organisations qui nous avaient sollicité·es. On s’est dit, c’est bizarre on fait beaucoup de choses bien, là on a participé à l’effort national et personne n’en parle, par contre quand ça ne va pas on stigmatise les femmes du quartier ! Elles sont des assistées ou on fait porter sur nous la responsabilité pour les bêtises des jeunes… J’étais en colère et j’ai dit à Fatima, cette fois-ci on va monter le collectif ! Et donc en 2020, on a crée ce collectif qui s’appelle Kune qui veut dire « ensemble » en espéranto. C’était important de trouver un mot qui rassemble tout le monde.
Avec le Kollectif Kune, on a une organisation matricielle en palabres, c’est-à-dire que chacun·e peut proposer une idée et c’est à tout le collectif de se débrouiller pour mettre en place cette idée. Ce qui fait qu’on a beaucoup d’activités, on fait un peu tout dans le quartier : ça peut être en lien avec la nature, les difficultés à l’école, la présence dans l’espace public, l’alimentation avec des repas solidaires. Par exemple quand il y a eu le tremblement de terre au Maroc, on a organisé la solidarité. Ça part aussi de la lutte contre l’islamophobie car il y a eu des attaques de la mosquée du quartier, mais ça peut aussi être l’organisation d’une Fashion week. Donc on fait énormément de choses.
En 2022, il y a eu le décès d’une habitante du quartier, un féminicide. On a donc appelé à une marche où plus de 400 personnes sont venues dans le quartier. On a pleuré ensemble, on s’est pris·es dans les bras, on s’est échangé nos numéros et on a décidé de sensibiliser autour de ce sujet. A ce moment-là, c’était #Metoo mais il n’a pas atteint nos quartiers populaires où l’on a tendance à considérer les violences conjugales comme un problème de blanc. Donc la question c’était comment on arrive à parler de ces violences, comment on arrive à libérer la parole auprès de femmes avec des conditions de vie qui rendent parfois plus difficile de s’exprimer du fait de multiples discriminations, d’un point de vue administratif par exemple ou qui on simplement peur de dire les choses.
On a donc créé le collectif « Les Clandestines ». Comme l’idée c’est de travailler dans le secret pour sortir du silence on peut se retrouver partout, au marché, à la sortie de l’école, devant nos immeubles, etc. On fait de l’écoute bienveillante et l’on protège les femmes. Parce qu’il y a des personnes qui vivent encore dans leurs couples ou qui n’ont pas envie d’être stigmatisées, avec le collectif on leur permet d’exprimer ce qu’elles subissent dans leurs maisons, sans les mettre en danger. On accueille les paroles sans jugement, on les accompagne en les laissant décider d’aller porter plainte ou non. Mais déjà, à travers leurs témoignages, d’autres femmes peuvent aussi savoir qu’elles ne sont pas seules, que d’autres sont passées par là et qu’elles peuvent s’en sortir.
Dernièrement, on a été invité par le collectif afroféministe MWASI près de Paris, et suite à ces rencontres, avec Shineétoile, membre de Kune et des Clandestines, on s’est dit que ça serait bien qu’on s’ouvre à ces questions décoloniales et du racisme à proprement dit. Des personnes du Brésil, de Madagascar, nous on déjà dit “je me sens concerné·e et j’ai envie d’en parler”. Donc on va essayer d’avoir ces débats. Parce qu’on se rend compte que ça reste très compliqué d’en discuter avec des copaines blanc·hes. L’idée n’est pas de rendre qui coupable ou qui victime, c’est juste de partager les responsabilités et prendre conscience qu’il y a des privilèges liés à la couleur de la peau ou autre.
Comment est-ce que vous arrivez à articuler au cœur de vos engagements les enjeux féministes, écologiques, de justice sociale et antiracistes ?
Komokoli Régine : Il y a une personne dernièrement qui m’a dit que j’étais intersectionnelle, j’ai découvert ce mot-là et je trouve que c’est plutôt pas mal ! On est juste des personnes avec de l’expérience. On s’organise en partant d’en bas, en partant de nos histoires du quotidien, de ce qu’on vit concrètement, en laissant la parole aux gens pour s’exprimer sur leur ressenti. Comment ils et elles vivent les choses ?
[Les réflexions sur l’antiracisme] c’est important de rappeler qu’on a une histoire commune, de la colonisation, de l’esclavage, et qu’on a l’impression que ça continue encore. Il y a une manière décomplexée de continuer à oppresser les gens. Et c’est essentiel que des personnes concernées puissent s’exprimer sur le sujet, témoigner, raconter des anecdotes, et d’échanger pour libérer la parole.
[De la même manière] les réflexions sur l’écologie, je voulais savoir comment on fait de l’écologie quand on a des parcours d’immigré·es. J’entendais les discours sur les personnes étrangères qui ne comprennent rien à l’écologie, surtout dans les quartiers alors que c’est complétement faux ! Ce sont des vocabulaires, mais dans les quartiers il y a des fonctionnements très écologiques, des fois par obligations, à cause de la pauvreté, mais aussi par convictions. Il faut parfois partir des réalités vécues pour casser ces images construites par les grands discours. C’est pour ça, je me dis aussi afroféministe, parce que ça n’a rien à voir avec le féminisme blanc. C’est un féminisme qui part de nos manières de faire en Afrique, beaucoup par la transmission orale, la transmission par le lien mère/fille.
On essaye aussi d’apporter toutes nos connaissances, nos codes, et nos manières de faire et de lutter que nous avons dans nos pays, en Afrique. Ici, il y a un fonctionnement avec beaucoup de temps de réunions. Nous c’est plutôt tout le contraire, c’est dans les temps forts qu’on fait passer des messages qui créent des liens après. Ce qui est difficile à comprendre, lorsque d’autres collectifs nous invitent à des réunions : c’est beaucoup d’énergie de s’asseoir, il y a les barrières de la langue, de plein de codes qui font qu’on n’arrive plus à participer. Mais par contre des temps forts où on sait qu’on va être dans l’action, dans le faire ensemble, ça nous porte ! Et j’insiste sur la palabre ! C’est comme ça qu’on fonctionne en Afrique, on fait du sérieux en rigolant, en s’amusant, ça c’est très important. Avec les parcours qu’on a eu, si on arrête la joie, le rire, je pense que ce sera carrément la mort. Donc pour rester en vie, on a besoin aussi de ça, des temps de fête, des repas ensemble, on se parle énormément.
Mes luttes se concentrent sur la lutte contre les violences faites aux femmes, la démocratie populaire, l’immigration, et la reconnaissance des Parentalités avec un grand S. Je tiens à insister sur le fait que nous recevons énormément de messages sur les réseaux sociaux concernant l’écoute bienveillante des victimes de violences sexistes et sexuelles. En tant que collectif Les Clandestines, nous prenons le temps de répondre et d’accompagner ces personnes avec le plus grand soin.
Comment s’est passée la séquence politique après et pendant les législatives, la campagne, le sursaut de mobilisations qu’il y a eu face à l’imminence de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Qu’est-ce que vous avez fait ici ?
Komokoli Régine : Au moment des élections européennes et de la dissolution, j’ai appelé mon amie Juliette Rousseau, en lui confiant, comme j’ai été victime de racisme, que c’était très compliqué ce moment pour moi, j’avais du mal à vivre tout ce qui se passait lorsque le premier tour arrivait. Et elle aussi me disait que c’était compliqué. Puis en parlant de ça on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. On a donc fait une vidéo dans laquelle on a dit que l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite n’est pas écrite, qu’on peut mobiliser, sensibiliser, s’exprimer et proposer autre chose. Mais qu’est-ce que ça donne concrètement ? De notre côté on sensibilise les femmes du quartier, on va montrer qu’on a envie de tisser entre « bourgs et tours » on va venir du quartier, on va faire le déplacement pour aller chez vous. On a donc fait une rencontre incroyable, pendant laquelle on a commencé à souligner enfin nos points communs : à commencer par le mépris des politiques.
Quand tu parles des quartiers, quand tu parles de la ruralité, c’est pour venir chercher des voix, ou sinon c’est pour stigmatiser. Mais on est plus que des voix ! Et on partage beaucoup de points communs : discriminés, oubliés, etc. Même sur la barrière de la langue ! On était très choqué·es car on pensait que c’était nous avec nos accents qui posions problème, mais en fait certaines des personnes présentes ont témoigné en disant qu’elles venaient de la campagne et que parfois elles étaient rejetées pour leur façon de parler. Après cela, on s’est demandé qu’est-ce qu’on peut faire ensemble concrètement ? Il y a le 2e tour qui arrive, qu’est-ce qu’on propose ? Et là, il y a une fille qui a dit qu’on pourrait faire comme « la marche des beurs » : vous venez nous voir et l’on vient vous voir. Et puis le nom est sorti comme ça au « grand remplacement » opposé le « grand déplacement » !
L’idée d’aller à Châteaubriant, ça venait de Juliette qui en a parlé au collectif « Réveillons la résistance » car le mercredi il y a eu un événement sur Guy Môquet qui a été fusillé [lors de la Seconde Guerre Mondiale]. Finalement, l’Histoire continue, il y a un lien, donc il fallait qu’on rappelle aux gens qui oublient l’Histoire que si on ne fait rien, voilà ce qui se passe en fait quand les fascistes sont au pouvoir. On s’est dit, on va quand même marcher, parce que marcher ça a un impact. Donc on est parti·es de Villejean jusqu’à la gare à pied et puis on a pris le train. Arrivé·es à Châteaubriant, on a eu un accueil incroyable de tous les collectifs sur place.
Ensuite on a eu des invitations pour venir à Montfort-Sur-Meu car un événement s’organisait. On a pris la parole pour expliquer pourquoi c’est important de créer un lien entre les campagnes et les villes, parce qu’on a les mêmes combats, les mêmes luttes et que s’opposer c’est une erreur. Effectivement sur certains territoires, il y a des chiffres qui montrent qu’ils ont voté l’extrême droite, mais y a une méconnaissance. Il n’y a pas liens qui se créent alors qu’on affronte les mêmes problèmes, il faut que les gens l’entendent. Ce moment a été très fort et bien accueilli. Suite à cela, plusieurs personnes sont venues nous voir en disant que dans tel ou tel village, elles connaissaient des personnes qui se sentaient seules que ça serait important d’aller là-bas aussi. D’ailleurs j’ai appris que sur ces territoires c’était resté à gauche. Donc c’est chouette, même si on ne peut pas le prouver, mais on s’est dit peut-être que notre déplacement, avait pu avoir un impact, que les gens ont pu changer d’avis après ça.
Comment est-ce que vous envisagez la suite ? Quelles continuités avec les mobilisations menées ces derniers mois ?
Komokoli Régine : Là, j’ai cité Montfort, il y a eu aussi Fougères. On a fait deux déplacements car une personne qui est sur place, très investie nous a invité·es à un café philo. Donc notre arrivée était acceptée et c’était un joli temps de découverte. On a appris pleins de choses sur le sujet de l’agriculture. Et en parallèle on était face à des gens qui ne savaient même pas que l’Europe vendait des armes en Afrique. C’est quand même un peu fou en 2024. Et c’est là qu’on se rend compte que la déconstruction c’est des deux côtés, qu’on a tou·tes des stéréotypes. Mais c’est aussi la preuve que tout ce travail de pédagogie, ces déplacements, “aller vers” ça peut tout changer. Mais je pense qu’il faut un travail en amont, il faut une volonté sur les territoires, il faut des personnes qui vont organiser les rencontres, le fait de pouvoir venir, parce que sinon ça peut nous mettre aussi en danger. On ne peut pas débarquer comme ça. Parfois ça prendra cette forme, mais parfois la rencontre se fera en s’inscrivant sur une fête dans un village, venir cuisiner ensemble. Je pense qu’à un moment donné, si on veut vraiment avancer sur ce sujet, il faut réinvestir l’espace public ! Ça a toujours été comme ça, la vraie politique, c’était dans l’espace public, c’est les gens qui sortent, qui ne s’enferment pas.
D’ailleurs, la preuve, tout ce qu’ils font, c’est diviser pour qu’on ne fasse pas des choses ensemble, pour mieux régner. Par exemple, moi je vois des gens, de très bons amis qui ont voté l’extrême droite pour des autres raisons liées au pouvoir d’achat, pour punir Macron, etc. Quand j’ai su ça, je leur ai partagé des prises de parole et de positions du RN pour leur montrer leurs propos. Ils m’ont répondu qu’ils n’ont pas voté pour ça... mais il n’empêche qu’ils ont quand même donné leur voix au RN. Du coup aujourd’hui, ils m’évitent, ça a créé une division entre nous. Et plus on s’éloigne plus la haine arrive et on voit ce qui se passe après. Il ne faut surtout pas en arriver là. Il faut éviter tous ces écarts !
Du coup, j’espère vraiment qu’on va pouvoir continuer cette dynamique ! Car finalement, on s’est bien rendu compte qu’on n’était pas préparé. Les collectifs, les associations n’étaient pas préparées à l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Au moment de la dissolution, on a eu plusieurs échanges dans l’urgence. Sur le coup on essayait de trouver des idées collectives. Comment on va cacher les copines qui en auraient besoin ? Comment on arrive à se préparer pour protéger les autres et se protéger, pour pouvoir proposer autre chose et échanger, pour reverser la situation dans nos territoires si l’extrême-droite passe au pouvoir ? En partant des quartiers, on avait vraiment ce besoin de souveraineté alimentaire, c’était de vrais besoins, puis sur du bon, du bio. Et en fait on s’est rendu compte que nos copines à la campagne, des fois avaient des aliments, qui pour des raisons où ça ne rentre pas dans la taille, les normes et tout ça, allaient être jetés ou mis de côté. Donc on a réfléchi à comment on ferait arriver ces produits dans les quartiers ? Qui sera prête à venir livrer ? Mais aussi sui sera prête à accueillir chez soi les copines pour les protéger ? Qui sera prête aussi à sortir dans la rue pour l’autre ? Sil y en a un ou une qui est en garde à vue, etc. On avait vraiment fait des plans dans l’urgence, ça restait très artisanal mais c’était fort de voir toutes ces réflexions.
Du coup je pense que c’est essentiel, pour pouvoir se préparer, parce que, pour ne pas être pessimiste, ce qui se présente, c’est qu’à un moment donné on aura des extrêmes en France comme en Europe. Donc là, l’idée c’est de se préparer au pire pour être plus fort. Pour se dégager aussi cette charge mentale et pouvoir aussi avancer autrement. Parce que si on est dans l’angoisse et la peur, on n’arrive plus à proposer de nouvelles choses. J’espère qu’on va pouvoir garder toutes ces trames. Cette préparation elle passe par le fait de continuer à créer des liens. Ramener un peu d’humain là-dedans. Parce que ce qui est important c’est de faire des choses ensemble. C’est dans cette vie ensemble, à travers la joie, les rires, qu’on peut se rendre compte qu’on est tou·tes des êtres humains. Finalement on n’est que des chiffres quand on entend nos politiques, il n’y a pas l’humain dans tout ça. Et en particulier dans les discours sur l’immigration. On ne quitte pas son pays juste parce qu’on a envie de le quitter, même si on devrait pouvoir le faire parce que le droit de se déplacer, ça rentre dans les droits humains. Mais n’empêche, aujourd’hui l’immigration qu’on vit ici, c’est l’immigration qui est un peu subie par beaucoup, à cause des guerres, bientôt ça va être à cause du changement climatique. Les gens oublient cela. Alors s’ils peuvent discuter avec des personnes directement concernées, ça peut avoir un impact. Un impact positif des deux côtés !
Parce que quand on parle d’immigration en général et en particulier les pouvoirs publics, c’est forcément parler sur un ton négatif ”rentrez chez vous et tout”. Du coup les gens se sentent parfois mal, comme c’est tellement stigmatisé, ils pensent qu’ils sont un poids et ça devient une honte et les gens se cachent. Et là, grâce à l’action du « grand déplacement », ils et elles ont compris qu’on peut au moins débattre, dire ce que l’on pense et même aussi se réclamer d’où on vient en disant qu’on apporte beaucoup parce que en fait l’immigration c’est une richesse. On apporte énormément à la France. Mais pas seulement ! On minimise souvent le rôle des diasporas sur nos pays. Or c’est très important de rappeler que les personnes d’origine immigrée qui vivent à l’étranger impactent et apportent énormément sur le développement économique et aussi social. Y compris sur des sujets comme les violences faite aux femmes. En France, même s’il y a des femmes qui meurent encore et c’est juste insupportable, les choses avancent. Mais y a encore beaucoup à faire en Afrique parce que l’éducation masculine, elle reste encore basée sur la domination de la femme. Il y a les traditions, dans lesquelles tout n’est pas bon à prendre, il y a la religion où tout n’est pas bon à prendre non plus. Et dans tout ça, nous, avec nos connaissances on essaie de transmettre aussi dans nos pays d’autres manières de faire. Dire qu’on peut aimer autrement, qu’on peut éduquer autrement, etc. Et ça je pense que ce n’est pas négligeable en fait, ce sont des échanges mutuels.
Normalement, dans les prochaines actions, les copines de ces territoires vont faire le retour, pour venir aussi voir dans le quartier et continuer à faire ce travail de lien. Cette initiative est importante pour continuer à témoigner de ce qui se fait localement, continuer à libérer la parole et faire de la vraie démocratie finalement qu’on nous a enlevée. Parce que c’est aussi ça ce qui s’est passé avec ce nouveau gouvernement. C’est quand même une insulte, un manque de respect énorme à tout ce qu’on a pu faire cet été. Et puis entre-temps j’ai pris aussi l’initiative d’écrire une pétition pour dénoncer les propos [de Bruno Retailleau]. Quand on entend un ministre de la République dire que l’immigration n’est pas une chance, c’est choquant. Moi je suis surprise de voir le peu de réactions que cela suscite ! Parce que je me dis ce sont des petites phrases comme ça qui assassinent, qui pourrissent nos vies et finalement amènent du fascisme ordinaire.
Pour le coup j’ai quand même le privilège d’avoir la parole pour porter une voix, vu mon parcours, tout ce que j’ai vécu et cette double culture aussi qui me porte à pouvoir m’exprimer sur ces sujets. Et derrière ça il y aura peut-être quelques personnes, quelques jeunes qui trouveront la motivation de faire aussi ! Parce qu’on est dans des quartiers populaires où il y a beaucoup de jeunes qui sont perdus, qui n’y croient plus, alors que c’est de leur avenir aussi qu’on parle. Il faut arriver à construire ensemble tout ça. C’est mon vœu !