Chili: après 10 ans de lutte, à Caimanes, la justice ordonne la restauration du cours naturel de l’eau
18.03.2015
France Libertés a dénoncé à plusieurs reprises au sein du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU la violation du droit à l’eau des habitants de Caimanes au Chili du fait de la construction du réservoir de déchets miniers El Mauro. Elif Karakartal, que la Fondation avait envoyée en 2012 en tant qu’observatrice internationale des droits de l’homme au cours du procès Caimanes, nous communique des nouvelles encourageantes : la justice chilienne a ordonné le 9 mars dernier la démolition du réservoir exigeant de l’entreprise minière en cause, Minera Los Pelambres, qu’elle rétablisse le cours naturel de l’eau dans cette zone.
Par Elif Karakartal, observatrice internationale, réalisatrice de documentaires
La justice chilienne ordonne la démolition du réservoir de déchets miniers du Mauro.
9 mars 2015, après plus de 10 ans de lutte contre le réservoir de déchets miniers installé quelques kilomètres en amont de la communauté de Caimanes, la justice chilienne vient de donner raison aux habitants de ce petit village du centre-nord du Chili en ordonnant la démolition du réservoir.
La lutte de ce village a été ardue et parfois désespérante : une lutte qui s’engage dès le début sur le terrain juridique, avec de grandes difficultés dans les premières années lorsque les avocats trahissent leurs clients en passant un accord avec la mine pour annuler une résolution de la cour d’appel qui mettait fin à la construction du réservoir ; une lutte de titans face à la famille propriétaire de Minera Los Pelambres, Luksic, aussi connue comme « patronne du Chili », tant son pouvoir lui permet d’influencer les partis politiques en place et d’utiliser les institutions pour imposer ses projets. En 2012, non contente d’avoir réussi à imposer un projet dont on savait qu’il condamnait la vallée, l’entreprise réussit le tour de passe de trainer les nouveaux avocats de la communauté sur les bancs des accusés pour vouloir s’enrichir sur le compte de la cause environnementale, et ce alors même que la justice chilienne n’avait pas étudié les impacts de ce réservoir, le plus grand d’Amérique Latine.
Le 21 octobre 2014, la Cour Suprême reconnait enfin la responsabilité de Minera Los Pelambres quant à la disparition de l’eau dans le village de Caimanes et dans la vallée du Pupio et ordonne à l’entreprise de rétablir le cours naturel des eaux. La sentence prévoit un délais d’un mois à la compagnie pour présenter un plan d’exécution et, s’il n’est pas respecté, ordonne la démolition du réservoir de déchets. Se sentant soutenus et légitimés par la sentence, les habitants s’organisent et mettent en place un campement auto-organisé qui bloque la route principale d’accès au réservoir de déchets miniers. L’occupation durera 75 jours. Les habitants seront délogés début février par ordre du Ministère de l’intérieur sans que ne leur soit donné aucune signal de la part de l’entreprise ni de l’État que la sentence sera respectée.
Cependant, un événement va éveiller l’intérêt de la presse et de l’opinion publique qui jusqu’alors ignoraient totalement l’existence de cette lutte. La presse chilienne révèle que la Banque du Chili, possédée par Luksic, le propriétaire de Minera Los Pelambres, a octroyé un prêt de 10 millions d’euros au fils de la présidente le lendemain de l’élection présidentielle. Cette affaire met à nu les amitiés entre pouvoir politique et financier, le scandale révolte l’opinion publique chilienne. Pendant ce temps-là, à Caimanes, loin des affaires politiques, les mobilisations se poursuivent prenant l’allure de manifestations spontanées quotidiennes pour exiger l’accomplissement de la sentence. Et bientôt, ce sont les vallées voisines qui s’enflamment et bloquent toutes les routes d’accès de cette même entreprise qui a usurpé les eaux des rivières en amont pour son exploitation minière.
C’est ainsi qu’après des années de silence médiatique, en quelques semaines, le village de Caimanes occupe brusquement l’attention de l’ensemble des médias chiliens. La résolution tant attendue est tombée le matin du 9 mars 2015 : le Tribunal de la commune de Los Vilos refuse le plan d’œuvre présenté par Minera Los Pelambres qui seul aurait pu empêcher l’ordre de démolition du réservoir de déchets. Le plan de restauration du cours naturel des eaux présenté par Minera Los Perlambres est jugé insuffisant, principalement parce qu’il ne prend pas en considération les eaux souterraines qui circulaient autrefois sous le réservoir et ont été bloquées par sa construction. Des eaux souterraines vitales dans un environnement où les pluies et écoulements superficiels sont devenus quasi inexistants. Dès lors, la sentence du tribunal exige la démolition du réservoir qui contient plus de 2 milliards de tonnes de déchets miniers.
Après une sentence sans précédent au Chili, qui exige le retour de la nature à son état initial avant toute intervention humaine et sans aucune compensation artificielle, la compagnie a communiqué son intention de faire appel face au refus de son plan d’œuvre. Minera Los Pelambres signale que la démolition du réservoir de déchets mettrait en danger les populations et l’environnement. Pelambres ajoute que pour ce faire elle se verrait dans l’obligation de mettre fin à son exploitation minière dans le Choapa et que l’application de la sentence serait un précédent menaçant l’avenir de l’ensemble des projets miniers au Chili.
Au Chili, pratiquement personne ne remet en question le choix de l’extractivisme comme support du « développement ». Pourtant, à Caimanes aujourd’hui les voix s’élèvent pour dénoncer que l’imposition d’un projet minier ne leur a apporté que pauvreté, destruction des cours d’eau, divisions sociales.
A suivre…