Caimanes. Rompre l’inacceptable, un chemin encore difficile à se frayer au Chili
25.07.2016
Le cas de ce petit village chilien, en amont duquel l’entreprise minière Los Pelambres, propriété des Luksic, la plus grosse fortune du pays, a édifié le plus grand réservoir de déchets miniers d’Amérique Latine, scellant les sources d’eau sous des milliers de tonnes de déchets miniers, continue de symboliser un combat contre l’injustice.
Après que le 21 octobre 2014, la Cour Suprême du Chili a ordonné à l’entreprise dans une décision sans précédent, de « restituer le cours naturel des eaux », et que les habitants ont bloqué pendant plus de deux mois la principale route d’accès au réservoir de déchets miniers, Minera los Pelambres avait proposé à la communauté un processus de discussion afin de mettre fin au conflit historique, d’évaluer ensemble la manière de restituer les eaux usurpées et d’assurer la sécurité du village.
Mais alors que le processus venait d’être engagé, des informations révélèrent que l’entreprise avait en réalité l’objectif d’élever le mur du réservoir d’une soixantaine de mètres, augmentant encore la quantité de déchets miniers en son intérieur et en conséquence aussi le danger pour les habitants. L’entreprise souhaitait en fait au travers d’un accord avec la communauté mettre fin aux procès gagnés par cette dernière sans faire face à sa responsabilité au regard de la destruction irrémédiable de la vallée ni par rapport au futur de ses habitants dont la vie sur le territoire a été compromise à jamais. Le processus de discussion s’était soldé par un échec.
Malgré l’échec de ce processus, Ossa et Cia, les ex-avocats de la communauté rassemblèrent des signatures afin de faire tout de même valoir l’accord avec MLP auprès de la Cour Suprême « par la raison ou par la force ». Les ex-avocats obtinrent finalement un non-lieu sur la cause engagée contre MLP sur la sécurité du village. Toutefois, les nouveaux avocats de Caimanes ont dénoncé les circonstances du recueil des signatures, les pressions auxquelles les habitants de Caimanes ont été soumis pour signer, moyennant la promesse de versement d’argent et rien n’est encore défini. Quant à la décision de restitution des eaux, elle attend toujours son exécution, alors que la Cour d’Appel de La Serena est en train d’examiner le rapport d’un nouvel expert.
Tandis que la situation de Caimanes est toujours enlisée, que les décisions de justice ne sont toujours pas appliquées, que de nouveaux avocats continent de faire appel pour leurs applications, la récente apparition en juin dernier du nouveau Président de la Cour Suprême, Hugo Dolmestch aux côtés d’Antofagasta Minerals interroge. La réunion a eu lieu à « Alianza Valor Minero », une institution public-privée, née il y a un an avec l’objectif d’améliorer la stratégie des entreprises au regard de la multiplication des conflits autour des projets extractivistes. L’idée de Valor Minero est de promouvoir le dialogue entreprises-communautés afin d’éviter la judiciarisation des conflits. L’équité de ces opérations d’arrangement à l’amiable peut toutefois être fortement questionnée alors que le cas de Caimanes a illustré les limites du dialogue dès lors le « dialogue » n’est plus qu’une nouvelle façon d’imposer à un territoire un destin non choisi. Opération d’autant plus controversée à Caimanes que des décisions contre l’entreprise existent déjà. Comment comprendre le sens d’un dialogue qui intervient après une résolution judiciaire et prétend l’annuler ? Qu’en-est-il de la justice si un accord entre privés, moyennant le versement de somme d’argent, permet d’effacer une décision de justice ? Comment le Président de la Cour Suprême peut-il directement travailler pour « éviter les conflits » à la faveur d’intérêts des entreprises ?
Des questions qui agitent aussi les politiques alors qu’une délégation de Caimanes a été reçue il y a deux semaines par la Commission Droit de l’Homme de la Chambre des députés. Comment une entreprise peut-elle se donner le luxe de ne pas respecter des décisions de la Cour Suprême ? Les députés de gauche comme de droite de cette Commission furent unanimes à condamner l’insoutenabilité de l’impunité dont jouissent des entreprises comme celle qui opère à Caimanes, simplement parce qu’il y beaucoup d’argent en jeu. « Aucune entreprise ne peut être au-dessus des droits », « les Droits de l’Homme ne sont pas négociables », « Au nom du profit, nous sommes en train de détruire notre pays ». Des réactions fortes, étrangement partagées par différents bords politiques qui, d’un côté illustrent le constat du pouvoir absolu des groupes financiers sur les lois et sur les droits, mais de l’autre expriment un désir de changer la donne, en particulier à l’aube d’une Nouvelle Constitution au Chili.
Bien que l’extractivisme soit bien loin d’être remis en question au Chili, où le cuivre et autres industries extractives continuent de représenter le socle de l’économie du pays, l’ampleur des impacts sur les territoires est de plus en plus grave, visible et irréversible. Par ailleurs, le tout pouvoir des entreprises fait tache noire sur les institutions chiliennes. En effet, les scandales politiques continuent de s’accumuler autour de conflits d’intérêts entre les affaires politiques et celles d’État et touchent de très près le secteur minier. Ainsi Jorge Insunza vient tout juste d’être formellement mis sous accusation pour avoir cumulé le poste de Président de la Commission des Mines de la Chambre des députés en même temps qu’il exerçait la fonction de conseiller d’Antofagasta Minerals (à laquelle appartient entre autres Minera Los Pelambres). Des cas qui désormais éclatent au grand jour, soulèvent le mécontentement des chiliens et signalent la perte de crédibilité d’un État de droit qui depuis la chute de la dictature avait tenté de se reconstruire comme tel.
Elif Karakartal,
Observatrice internationale sur le cas de Caimanes pour la Fondation Danielle Mitterrand et membre du collectif ALDEAH