Jeudi 5 décembre, la session inaugure le grand débat que l’Université du bien commun à Paris vous propose de mettre en chantier, afin de progresser ensemble sur cette question du statut des biens communs au regard de notre Constitution, enjeu décisif pour le devenir de l’humanité.
La rencontre
Biens communs et communs sont deux faces distinctes et complémentaires d’une même ambition de transformation profonde de nos sociétés et de l’imaginaire social.
Le titre de cette rencontre interpellera sans doute a priori. En effet, le flou sur le statut des biens communs et communs en France ne permet guère encore de les référer en l’état à une catégorie juridique spécifique et/ou constitutionnelle à quelque titre que ce soit, comme cela est pourtant déjà le cas en Italie, Bolivie, Equateur*, Colombie, Nouvelle-Zélande, Slovénie…
Or il est à noter que, ces dernières années, plusieurs tentatives émanant de parlementaires de sensibilités politiques allant du centre droit à la gauche, épaulés parfois par des personnalités du monde scientifique, intellectuel ou encore spécialistes en droit public, ont proposé plusieurs projets de loi pour inscrire les biens communs dans la constitution et les doter d’un statut juridique. Depuis 2018, ces tentatives n’ont pas abouti, le plus souvent en raison d’objections émises par la commission des Lois de l’Assemblée nationale ou du Sénat, mais non pas sur le principe, loin de là.
Il ressort surtout que la caractérisation des champs d’application des biens communs et communs est épineuse et que les conséquences de possibles litiges et vices de forme au regard du droit public et privé le sont tout autant. Ces échecs relatifs illustrent, en premier lieu, la difficulté à définir et à cerner la notion même de bien commun (au singulier comme au pluriel). En effet, elle peut envelopper des domaines liés à l’environnement – climat, eau, forêts, biodiversité -, tout autant que des services publics – perçus pour certains d’entre eux comme dégradés par la financiarisation de l’économie – : santé, transports, culture, énergie, éducation ; voire, dans le cadre de l’agriculture, la guerre de l’eau ou encore la libre circulation des semences natives reproductibles face à leur préemption par les semenciers industriels.
A ces obstacles s’ajoutent la confusion et l’amalgame entre bien public et bien commun, mais aussi des craintes quant à d’éventuelles atteintes au droit de propriété, à celui des sociétés et des affaires pour des entreprises se sentant déjà affectées par le devoir de vigilance environnementale.
Cependant, et pour ne s’en tenir qu’à la France, les antécédents historiques font paradoxalement de notre réflexion un objet à la fois utopique, totalement réaliste mais d’une complexité néanmoins redoutable. Du droit coutumier du Haut au Bas Moyen âge jusqu’à notre droit constitutionnel contemporain, il y a eu déjà bien des jalons en la matière. La loi du 19 avril 1803 établit dans le code civil, en son article 714, toujours en vigueur qu’ « il est des choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous… ». Le code civil napoléonien de 1804 définit, quant à lui, les biens communaux comme « ceux à la propriété ou au produit desquels les habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. »
Plus récemment, la décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2021, portant sur l’interdiction d’exportation faite aux producteurs de pesticides, reconnaît expressément que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle », préparant le terrain à la constitutionnalisation de la Charte de l’environnement en 2005 permettant une nouvelle dynamique jurisprudentielle, sans être pour autant une panacée.
Dans le même temps, nous avons assisté en 2023 à l’adoption d’un traité international de protection de l’océan (haute mer) comme bien commun, mais en décembre 2021, à l’inverse, l’eau, pour la première fois dans l’histoire, faisait son entrée en bourse à Chicago, à l’initiative de Black Rock, une multinationale spécialisée dans la gestion d’actifs.
Indépendamment de ces enjeux et horizons institutionnels, il n’en demeure pas moins, bien sûr, que l’engagement de multiples collectifs auto-organisés, à l’échelle planétaire, en faveur des biens communs et des communs, prend de plus en plus d’ampleur, du fait de leur importance politique, sociale et écologique, ainsi que de leur rôle de laboratoires de gouvernance citoyenne et démocratique. Se situant en dehors du clivage public/privé, état/marché, les initiatives qu’ils développent opèrent à des échelles diverses : municipale, locale et territoriale, notamment avec les communs urbains et péri-urbains, nationale et mondiale, pour les biens communs naturels et les biens communs publics mondiaux tels que la connaissance ou la santé à l’ère du numérique.
Cette session inaugure donc le grand débat que l’Université du bien commun à Paris vous propose de mettre en chantier, afin de progresser ensemble sur cette question du statut des biens communs au regard de notre Constitution, enjeu décisif pour le devenir de l’humanité.
*« La nature ou Pachamama, où la vie est reproduite et existe, a le droit au respect intégral de son existence, du maintien et de la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. » Voilà ce qu’indique la Constitution de l’Équateur (2008), premier pays à introduire un droit de la nature à exister par et pour elle-même. Les implications d’un tel droit vont bien au-delà d’un « droit à un environnement sain », et ses impératifs de conservation et de protection d’une nature au bénéfice des êtres humains et de la richesse qu’il peut en tirer.
Les intervenant·es
Session introduite et animée par Yovan Gilles (membre fondateur UBC.Paris/Les périphériques vous parlent) avec la complicité de Claire Dehove (membre fondatrice UBC.Paris/Agence Wos des Hypothèses)
Avec :
- Marie Cornu est juriste à l’Institut des sciences sociales du politique (ISP) et directrice de recherche au CNRS, spécialiste du droit du patrimoine et des biens culturels, co-auteure avec Judith Rochfeld et Fabienne Orsi du Dictionnaire des biens communs (PUF- 2017). Elle est également membre de la commission nationale française pour l’UNESCO. Autrice, entre autres, Dictionnaire comparé du droit d’auteur et du copyright (avec I. de Lamberterie, P. Sirinelli, C. Wallaert), CNRS, 2003, elle a récemment travaillé sur le projet de recherche-action : L’échelle de communalité. Propositions de réforme pour intégrer les biens communs en droit, dont elle nous parlera.
- Laurent Fonbaustier est professeur agrégé des facultés de droit à l’Université Paris-Saclay. Ses principaux tropismes disciplinaires sont : le droit de l’environnement (qu’il préférerait nommer « droit mésologique » ou droit des milieux), le droit constitutionnel, le droit des libertés fondamentales et l’histoire des idées politiques. Il est co-directeur du master « Droit de l’environnement » à l’Université Paris-Saclay et directeur de la collection « Droit, sciences & environnement » aux éditions Mare & Martin (https://www.mareetmartin.com/collection/droit-sciences-environnement).Responsable de rubriques et chroniques de droit de l’environnement et membre de divers comités scientifiques, il est également l’auteur de livres : John Locke. Le droit avant l’État, Michalon, « Le bien commun », 2004 ; La déposition du pape hérétique. Une origine du constitutionnalisme ?, Mare & Martin, 2016 ; Manuel de droit de l’environnement, Puf, coll. « Droit fondamental », 3e édition, 2023. Il a fait paraître en 2021Environnement, aux éditions Anamosa.
Informations pratiques
Jeudi 5 décembre 2024 de 18h30 à 21h00
A l’Académie du climat, Salle des mariages, 2 place Baudoyer