La délégation Yukpa : un voyage en Europe pour dénoncer l’extractivisme
19.07.2023
Du 24 mai au 15 juin, une délégation du peuple autochtone Yukpa du Nord-est de la Colombie a traversé l’océan pour la première fois de l’histoire afin de dénoncer la responsabilité des états européens sur la gravité de leur situation. Classé depuis 2009 « en imminent risque d’extinction » par la cour constitutionnelle colombienne, le peuple Yukpa est confronté à l’implantation d’une mine de charbon nommé « El Descanso » sur leurs terres ancestrales. De la Suisse à l’Allemagne, en passant par la France, la Belgique et l’Angleterre, ils mettent en lumière la réalité vécue sur leur territoire et appellent à tisser des alliances internationales contre l’accaparement des terres et de l’eau.
La réalité d’un peuple confronté au colonialisme
Peuple autochtone vivant au Nord-Est de la Colombie et au Venezuela, les Yukpa sont confronté·es depuis plus de 500 ans à la violence de la colonisation dont l’extractivisme perpétue les logiques prédatrices. Au fil des dernières décennies, leurs terres ont été accaparées tantôt pour la culture du coton tantôt pour l’exploitation du bois avant d’attiser les intérêts des industries minières. Inscrites dans une violente dynamique de dépossession, ces différentes vagues d’exploitation se sont traduites par les déplacements forcés des habitant·es, la destruction des écosystèmes et une explosion de la violence des groupes armés voulant s’assurer le contrôle de ces ressources. Les profits quant à eux, dans le système capitaliste mondialisé qui règne, se sont évaporés sans « ruisseler » sur le territoire, dévasté.
Parmi les nombreux projets extractivistes qui gangrènent la région, « El Descanso » est une gigantesque mine de charbon à ciel ouvert qui figure parmi les plus grandes au monde ! Exploitée par les multinationales étasunienne de la Drummond et suisse de Glencore, avec l’autorisation du gouvernement colombien, ce ne sont pas moins de 60 millions de tonnes de charbon annuel qui sont exportées vers l’Europe. D’une taille équivalente à quatre fois la taille de Paris (430 km2), la méga-mine s’est installée depuis 2009 sur les territoires traditionnels du peuple Yukpa, les menaçant de « risque imminent d’extinction ».
Privé de leur droit à une consultation libre, préalable et informée, les Yukpa sont confronté.es aux pollutions qui les empoisonnent, au détournement des rivières essentielles à la pêche et à leur cosmologie ainsi qu’à la profanation de sites sacrés et d’anciens cimentières. La destruction de l’ensemble de la biodiversité de leur lieu de vie affecte leurs conditions même de subsistance et leur culture. Face à ces dévastations, la résistance s’organise courageusement pour défendre la vie !
Sources : « Vos bénéfices, c’est notre peuple qui meurt » de Frédéric Thomas, 07/06/2023, Le Vif.
Un voyage inédit en Europe !
La Colombie est un des pays les plus dangereux pour les défenseur·ses du vivant et les leaders sociaux. Menacé·es de morts, forcé·es à l’exil, agressé·es ou assassiné·es, leur engagement et leur courage nous oblige. Déterminée malgré les menaces, une délégation de membres du peuple Yukpa a entrepris un voyage inédit en Europe pour réclamer justice et mettre les sociétés européennes devant leurs responsabilités !
En effet, les grands discours autour de la transition énergétique martelés par les différents gouvernements européens sonnent creux à l’heure où tous ces pays importent du charbon de Colombie. Plus qu’une décarbonisation de la production d’énergie, leur stratégie est celle d’une délocalisation des conséquences néfastes, que soutiennent des logiques néocoloniales indéniables. Nous sommes bien loin d’une véritable transition énergétique verte !
Cette délégation a ainsi réuni :
- Esneda Saavedra Restrepo, dirigeante Yukpa et chargée des droits humains à l’Organisation Nationale des Peuples Autochtone de Colombie (ONIC), récemment rescapée d’une tentative d’assassinat.
- Luis Uribe Ramirez, leader Yukpa
- Juan Pablo Gutierrez, délégué international de l’ONIC
Dénonciations des violations des droits humains en plein cœur de l’Assemblée Générale des actionnaires de Glencore en Suisse, échanges avec des militant·es opposé·es à la mine de Garweiler en Allemagne, avec des ambassadeurs ou des député·es, rencontres publiques de sensibilisation, leur séjour européen a été intense.
Leur volonté à travers ces divers rendez-vous et actions entreprises était de :
- rencontrer certains décideurs politiques qui puissent être des allié·es pour reconnaître et entendre leur exigence de justice et de réparations.
- sensibiliser le plus grand nombre à la réalité que vit leur peuple et à leur résistance.
- tisser des alliances avec des collectifs et des organisations qui luttent pour défendre le vivant, les terres et les droits humains pour soutenir et renforcer mutuellement leurs engagements.
Temps de sensibilisation à Cologne en Allemagne
En France : de nombreuses rencontres
L’entreprise EDF a importé du charbon de Colombie depuis les années 80 jusque très récemment. Des importations qui se sont poursuivies malgré une connaissance des conséquences humaines et écologiques de cette production et les liens mis à nue entre la Drummond, Glencore, et les groupes paramilitaires chargés d’assassiner les leaders sociaux et environnementaux de la région. Une étape en France était donc un moment important.
« Dans les pays d’ici, le charbon c’est une ampoule, c’est la lumière, EDF l’achetait pour garantir votre vie normale ici, mais pour le peuple yupka c’est la mort, la souffrance, les cris de faim des enfants »
Juan Pablo Gutierrez
Lors de leur passage, la délégation a ainsi participé à de nombreux temps.
- Une journée de rencontre au CICP à réuni des membres de collectifs et d’organisations de la solidarité internationale pour dessiner des perspectives d’alliances communes, avant de se conclure sur une conférence publique.
- Au collège de France, les membres de la délégation ont rencontré des anthropologues dont Philippe Descola, avec qui ils ont pu échanger sur la situation du peuple Yukpa et le risque d’extinction culturelle imminent auquel ils sont confrontés.
- Lors d’une table-ronde organisée à l’Académie du Climat, les regards sur la lutte menée par le peuple Yupka se sont croisé et enrichis des expériences de lutte du peuple kalin’a de Guyane lors d’échanges passionnants.
- Enfin, la délégation a pu rencontrer divers parlementaires dont Francesca Pasquini (EELV) et Arnaud Le Gall (LFI). Suite à leurs échanges, une tribune a été rédigée par Francesca Pasquini pour demander la mise en demeure de trois banques françaises qui financent l’industrie minière en Colombie.