La mine de Cerrejon menace le droit à l’eau en Colombie
18.08.2017
Au nord-est de la Colombie, dans la péninsule semi-aride de la Guajira, la gigantesque mine de charbon à ciel ouvert Cerrejon bouleverse la vie des populations riveraines et chamboule les équilibres naturels de la région depuis près de 30 ans. La population, fortement mobilisée pour faire respecter ses droits, a eu gain de cause le 15 août 2017. La Cour constitutionnelle de Colombie a suspendu pour 3 mois la déviation prévue par la multinationale minière du cours d’eau Bruno. La Cour a ainsi entendu les arguments mis en avant par les communautés en particulier sur leur droit à l’eau et à la consultation.
La mine de Cerrejon qui est la propriété de BHP Billiton, Anglo American et Glencore, est l’une des plus grandes du monde. S’étendant sur près de 70 000 hectares, elle produit environ 32 millions de tonnes de minerai par an qui viennent assouvir la demande européenne (50%), les États-Unis (37%), l’Asie et l’Amérique latine.
La mine s’inscrit aujourd’hui dans la mouvance de la mine dite ‘responsable’ ou encore ‘verte’, concept se répandant depuis quelques années partout sur la planète, y compris en France (cf. initiative de 2015 du ministre Monsieur Macron). La mine met en avant sur son site internet ses pratiques environnementales et respectueuses des droits humains.
Une image bien loin de la réalité comme en attestent les nombreux témoignages des populations riveraines souffrant gravement des impacts multiples de la mine. Il y a d’abord eu des expulsions des habitants pour que la mine puisse s’installer sur le territoire, puis se sont fait sentir les conséquences classiques de l’extractivisme : pollutions des eaux, sols et air ; bruit incessant ; mise à mal des sources de subsistances des communautés augmentant la pauvreté et la malnutrition ; problèmes sanitaires ; bouleversement du tissu social avec l’augmentation du nombre de meurtres, viols, émergence de la corruption… Parmi les populations impactées, on retrouve les Wayuu, le peuple autochtone le plus important de Colombie. Leur mode de vie a été complètement perturbé, menaçant leurs droits humains fondamentaux. Les impacts sur l’eau sont majeurs, la mine ayant une incidence tant sur la qualité de l’eau que sur la quantité. Les enfants sont fortement touchés par les pollutions (au moins 5000 morts) et les habitants sont rationnés en eau potable. Les cours d’eau se tarissent (70 millions de litres d’eau utilisés par jour, pompage dans les nappes phréatiques, assèchement des cours d’eau) et sont pollués. Pour toutes ces raisons l’entreprise Anglo American s’est vue décerner le Prix Pinocchio 2015. La mine « responsable » semble être un bel oxymore.
Face au désastre provoqué par la mine, les habitants se mobilisent et font connaitre leur situation jusqu’aux sphères onusiennes. La criminalisation des défenseurs sévit alors : intimidations, menaces, violences et même meurtres. La Colombie est d’ailleurs l’un des pays les plus touchés par les assassinats de défenseurs de l’environnement : elle est 2ème au classement pour l’année 2016 selon l’ONG Global Witness, après le Brésil.
La mine Cerrejon entend bien s’étendre au maximum agrandissant ainsi la « zone sacrifiée » au nom du profit. Cette extension sans fin induit notamment la déviation du cours d’eau Bruno. Plusieurs communautés ont fait appel à la justice pour alerter sur les impacts qu’aurait ce détournement de rivière. Elles insistent particulièrement sur le fait que cette déviation viendrait affecter l’écosystème de la région qui est rare (forêt tropicale sèche) et constituerait également une menace majeure pour la préservation de la ressource hydrique dans sa globalité.
La justice colombienne a pour le moment ordonné la suspension pendant 3 mois de ce projet de déviation et devra se prononcer par la suite sur les risques encourus par les habitants au regard de leur sécurité alimentaire, droit à l’eau et droit à la consultation préalable.
France Libertés travaille depuis près de 20 ans sur la question du droit à l’eau. Cette mine correspond en tout point à ce que nous qualifions d’extractivisme c’est-à-dire d’exploitation effrénée des ressources naturelles. Partout sur la planète, nos partenaires nous alertent sur les conséquences dramatiques de projets extractivistes. Nous soutenons ainsi plusieurs projets sur le terrain pour appuyer les communautés dans la défense de leurs droits, au premier rang desquels le droit à l’eau. Comme le rappelait Danielle Mitterrand : « C’est bien à l’eau, cet élément vital, que sont subordonnés les droits de l’homme et des peuples ». L’extractivisme, et notamment les projets miniers, fait partie des plus grands obstacles à la mise en œuvre concrète du droit à l’eau. En 2016 nous sortions le rapport Droit à l’eau et industries extractives : la responsabilité des multinationales, fruit d’un travail d’enquêtes et d’analyses de notre partenaire Alter-médias. Une des conclusions majeures était l’importance de la promotion du droit à l’eau comme droit politique à relier au droit à la souveraineté d’une communauté vis-à-vis de l’eau de son territoire.
Le cas de la mine Cerrejon montre bien comment les projets miniers génèrent un cortège de bouleversements économiques, sociaux et environnementaux. Il nous rappelle aussi, à travers le projet de déviation du cours d’eau Bruno, qu’en impactant le cycle de l’eau, on bouleverse tout un écosystème et même le climat de la région. France Libertés souligne régulièrement comment cycle de l’eau et climat sont intimement liés. Ce travail s’inscrit dans la défense de l’eau comme bien commun du vivant. Nous appelons à une gestion des eaux raisonnée et durable tant pour les êtres humains que l’ensemble du monde du vivant.
Il est temps de changer de paradigmes pour rompre avec cette société malade d’extractivisme. Dans ce travail de réflexion, les peuples autochtones peuvent grandement nous apporter. Nous vous invitons à lire notre dernière brochure : Stop aux zones de sacrifice : pour des alternatives à notre système prédateur des ressources naturelles pour plus d’informations sur cette question.