La biopiraterie, un sujet éminemment politique
06.04.2017
France Libertés a participé le samedi 25 mars à Limoges aux Rencontres de la Solidarité Internationale et de la Citoyenneté organisées chaque année par la fédération Ingénieurs sans frontières. Conçues comme un temps de formation, réflexion et rencontre, cet événement avait pour thème cette année « La technique c’est pas automatique – travailler le sens politique de la technique pour un monde plus juste ». Les rencontres partaient du constat d’une dépolitisation de notre société et invitaient à penser à des formes de repolitisation, en particulier des sujets liés à la technique.
Dans ce cadre, France Libertés accompagnée du Comité français pour la solidarité internationale (CFSI), a animé l’atelier « Biopiraterie et droits des paysans : regards croisés sur l’accaparement du vivant et des savoirs locaux ». L’occasion de rappeler que la biopiraterie est sujet éminemment politique.
En quoi le sujet est-il politique ? Fait-il parti d’un système organisé à l’échelle de la société ?
La biopiraterie fait référence à la privatisation du vivant et des savoirs traditionnels sur la biodiversité, notamment par le biais de brevets. Cela pose la question des biens communs du vivant et leur appropriation et privatisation.
La biopiraterie invite également à réfléchir à la reconnaissance et valorisation des savoirs des peuples et à repenser les rapports entre ces populations et le monde de l’entreprise et/ou de la recherche pour qu’ils soient moins marqués par la violence et l’exploitation abusive. La biopiraterie de par ses impacts sociaux, environnementaux et économiques incite à une réflexion politique forte pour poser un cadre aux acteurs agissant en lien avec la biodiversité et les connaissances des peuples qui y sont rattachées. C’est pourquoi tant à l’échelle internationale qu’à l’échelle nationale et locale, des réflexions émergent qui ont abouti à des principes forts.
Est-ce qu’il est en lien Ingénieurs sans frontières (avec la technique ? l’ingénieur ? la Solidarité Internationale ?)
Le sujet est technique parce qu’il fait appel à différentes catégories de droit. Il est aussi scientifique puisque lié aux propriétés des plantes. Cela vient d’ailleurs interroger la place accordée aux savoirs des peuples souvent perçus comme de moindre importance par rapport au savoir porté par un chercheur par exemple. On a tendance à exclure les savoirs traditionnels des sciences dites « dures ». Le sujet s’inscrit enfin dans la mise en place de droits humains forts et le respect des peuples.
En quoi peut-on dire qu’il est (en partie ou totalement) dépolitisé ? Quels mécanismes de dépolitisation peut-on identifier ?
De par sa complexité (mélange du droit et de la science), le sujet à tendance à être traité par les « experts » (scientifiques et juristes entre autres). Le sujet est essentiellement discuté à l’échelle internationale dans des hauts sommets ou instances onusiennes. Lutter contre la biopiraterie implique donc d’avoir des connaissances en droit, en particulier le droit de la propriété intellectuelle. Toutefois, ces espaces de dialogue laissent place, dans une certaine mesure, aux peuples autochtones et à la société civile.
Des cas de biopiraterie étant mis en avant dans les médias, le sujet tend à être de plus en plus connu. Le droit international visant à protéger les savoirs traditionnels des peuples et à poser des droits dans la valorisation de la biodiversité se construit et renforce. Plusieurs acteurs mobilisent aujourd’hui ces principes pour dénoncer des cas ou exiger un cadre contraignant au niveau national. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la France en adoptant la loi Biodiversité en juillet 2016.
Quelles causes et quelles responsabilités sont occultées par ce traitement dépolitisé du problème ?
En rendant le sujet essentiellement technique, les grandes questions politiques tendent à être effacées. Ainsi même si un droit se construit et des cas de biopiraterie se règlent, la privatisation et brevetabilité du vivant n’est pas remise en cause pour autant. En outre, les pratiques biopirates s’apparentent à une certaine forme de colonisation en venant piller la biodiversité et s’accaparer des savoirs détenus par des communautés. Il serait donc pertinent de repenser de manière plus globale les rapports entre les entreprises/les chercheurs et les peuples autochtones/ communautés locales. Il s’agirait d’interroger les pratiques actuelles dans un cadre large de rapport à la nature et rapport à l’Autre (ici les peuples autochtones et communautés locales dont les savoirs sont perçus comme librement appropriables).
Comment le repolitiser ?
Le sujet peut pénétrer la sphère politique à travers les droits humains et leur affirmation comme prioritaires sur les autres catégories de droit. Cela permet d’affirmer l’existence de droits fondamentaux pour les peuples autochtones et communautés locales (consentement, partage des avantages…) à respecter par tous en toutes circonstances. Il semble également fondamental de favoriser la participation pleine et effective de ces acteurs lors des événements internationaux ou nationaux traitant du sujet.
Un autre élément essentiel serait d’entamer une réflexion sur le système mondial capitaliste qui voit la nature comme un ensemble de ressources marchandisables et privatisables. Faire connaitre les visions des peuples sur les biens communs, partager leurs expériences et écouter leurs messages est une voie intéressante aujourd’hui pour repenser notre modèle de société dominant.